La reprise éphémère souligne la vulnérabilité de la France, qui est plus que jamais une économie dominée.
En 2017, la France s’est enfin libérée de la stagdéflation pour s’engager dans la reprise avec une croissance de 2,2 %. Elle a permis de réduire le chômage à 8,9 % de la population active, grâce à la création de 270 000 emplois, et le déficit public à 2,6 % du PIB, grâce à l’accélération des rentrées fiscales. Ce redémarrage s’explique principalement par la baisse conjuguée du pétrole, des taux d’intérêt et de l’euro à partir de la fin 2014, qui a impulsé la relance de la zone euro en 2015.
Le retard de deux ans de la France sur ses partenaires européens est entièrement imputable à la politique économique désastreuse conduite par François Hollande, et notamment aux séquelles du choc fiscal de 2012 qui a bloqué tout développement. À l’inverse, l’amélioration du climat des affaires et de l’image de la France provoquée par l’élection d’Emmanuel Macron a amplifié la relance, à défaut de la déclencher.
L’économie française risque malheureusement d’être aussi rapide à débarquer du train de la reprise qu’elle fut lente à le rejoindre. Depuis le début de 2018, le rythme annuel de la croissance est redescendu autour de 1,7 %, avec une perspective limitée à 1,5 % pour 2019. Tous les moteurs de l’activité ralentissent : la consommation sous l’impact de la hausse de plus de 4,5 milliards d’euros des impôts qui sera redoublée par l’impact psychologique du prélèvement à la source ; l’investissement qui stagne et chute même de 1,3 % dans l’industrie ; les exportations avec la montée de l’euro et la rémanence du déficit de compétitivité dont témoigne la dégradation de la balance commerciale. Tous les secteurs sont touchés avec une intensité particulière pour la construction, victime du déluge d’impôts et de taxes sur l’immobilier, et pour les services du fait de la hausse des prix.
Le freinage de la croissance va en effet de pair avec le réveil de l’inflation qui atteint 2,3 % en rythme annuel, en raison de la hausse de plus de 10 % du prix de l’énergie. Il en résulte une remontée du chômage qui touche 9,2 % de la population active – contre 8,5 % dans la zone euro et 7,1 % dans l’Union européenne.
Cette reprise éphémère souligne la vulnérabilité de la France, qui est plus que jamais une économie dominée. Les causes du ralentissement, comme celles de la reprise, sont principalement extérieures. Sur le plan économique, le retournement fin 2017 du cycle d’expansion qui a démarré en avril 2009 aux États-Unis et l’envolée de 40 % de prix du pétrole en un an. Sur le plan financier, la hausse des taux d’intérêt et le retour de la volatilité sur les marchés sur fond de surévaluation des actions et de surendettement. Sur le plan politique, le climat de guerre commerciale, technologique et monétaire entretenu par Donald Trump – avec pour dernier avatar les surtaxes sur l’acier et l’aluminium visant l’Europe, le Canada et le Mexique – ainsi que la réapparition des risques de conflits armés majeurs.
Mais le premier des périls qui pèsent sur la croissance française est lié à la crise italienne qui menace de réactiver les turbulences de la zone euro et de s’élargir en éclatement de l’Union européenne. Les trois chocs non gérés de l’élargissement, de la crise financière et des vagues de migrants ont plongé la construction européenne dans une tourmente existentielle qui peut la faire éclater. Un défaut de l’Italie, qui représente 15,4 % du PIB de la zone euro et 23,4 % de ses dettes publiques, entraînerait la fin de la monnaie unique. Sur le plan politique, la spirale populiste se trouve réamorcée et risque d’emporter les institutions européennes lors des élections de mai 2019.
Emmanuel Macron se trouve ainsi confronté à l’écroulement de sa stratégie. Les réformes devaient en effet être portées par la reprise, au plan intérieur, et par la refondation de l’Europe au plan extérieur. Or la reprise avorte et la France se retrouve totalement isolée en Europe. La modernisation économique et sociale dépend tout entier de la réinvention du modèle français, qui est conditionnée par la reconfiguration de l’État. Mais l’année 2017 a été perdue du fait de la poursuite de la hausse des dépenses publiques (56,4 % du PIB contre 43,6 % du PIB en Allemagne et 47,7 % dans la zone euro), du refus de les réorienter vers l’État régalien et de la non-diminution du nombre de fonctionnaires. Plus dangereux encore, une multitude de dépenses inutiles et ruineuses ont été promises, telles la suppression de la taxe d’habitation (18 milliards), le reste à charge zéro dans la santé, l’extension de la couverture chômage aux indépendants et aux démissionnaires, l’unification des retraites sans augmentation de l’âge de départ figé à 62 ans, le service universel ou le « pass culture ».
La reprise a fonctionné comme un voile donnant corps à l’utopie du « en même temps » qui prétend réunir l’inconciliable : moins d’impôts et plus de dépenses publiques ; plus de compétitivité et plus d’aides sociales ; la transformation de la zone euro en union de transfert et la sanctuarisation du modèle français de croissance à crédit. Le retournement de la conjoncture, amplifié par la fin de l’argent gratuit et la crise de l’Europe, impose le retour à la réalité. En politique, c’est bien Pierre Mendès France qui continue à avoir raison : présider, c’est choisir. En Europe, c’est bien le redressement de la France qui conditionne la refondation de l’Union et non l’inverse. En France, c’est la diminution des dépenses publiques – donc des transferts sociaux qui représentent 729 milliards sur 1 257 milliards à fin 2016 – qui constitue la clé de la modernisation du pays. John Maynard Keynes rappelait que « pour sortir du trou, il faut d’abord cesser de le creuser » ; pour baisser les dépenses publiques, il faudrait d’abord cesser d’en créer chaque jour de nouvelles.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 juin 2018)