S’il devait être mis en œuvre, le projet économique de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles serait dévastateur pour l’Italie et l’Europe.
L’Italie, depuis son unité tardive, a souvent servi de laboratoire politique. À la suite des élections du 4 mars, elle expérimente avec le gouvernement de coalition de la Lega et de Cinque Stelle l’alliance détonante des populistes de droite et de gauche, fondée sur la détestation des élites dirigeantes et de l’Europe.
Le contrat conclu entre la Lega et Cinque Stelle repose sur deux lignes directrices : payer moins d’impôts pour dépenser plus et « Italians first ». Les promesses les plus aventureuses de sortie de l’euro ou d’effacement de 250 milliards d’euros de dette par la BCE ont été abandonnées. Mais le programme télescope les principes qui gouvernent monnaie unique et Union européenne. La mise en place d’une flat tax de 15 % pour l’impôt sur les sociétés et de deux tranches de 15 % et 20 % pour l’impôt sur le revenu, couplée à l’instauration d’un revenu citoyen de 780 euros par mois et par personne et de la révision de la réforme des retraites, implique entre 109 et 126 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires. Au plan sécuritaire, l’objectif consiste à rapatrier 500 000 migrants en dix-huit mois. Au plan politique, se dessine une IIIe République populiste mêlant, au nom de la lutte contre corruption et conflits d’intérêts, la diminution du nombre de parlementaires et l’interdiction pour les francs-maçons d’appartenir au gouvernement – règle ubuesque héritée de Mussolini. Au plan international, sont prévus la dénonciation du traité portant sur la liaison ferroviaire Lyon-Turin, l’abandon immédiat des sanctions contre la Russie et le retrait des troupes italiennes de toutes les missions de maintien de la paix.
S’il devait être mis en œuvre, ce projet serait dévastateur pour l’Italie et l’Europe. La mécanique infernale est identique à celle qui fut proche de broyer l’Italie et la monnaie unique en 2011. La dette italienne s’élève à 2 302 milliards d’euros, soit 131,8 % du PIB. Elle est financée à 65 % par les Italiens, à travers les banques de la péninsule, dont les bilans portent 30 % des créances douteuses de la zone euro, et à 26 % par la BCE. Or les taux d’intérêt ont déjà commencé à s’envoler, avec une hausse de plus de 60 points de base en une semaine qui a conduit l’écart avec l’Allemagne au-delà de 190 points de base contre 118 en avril. Les agences de notation acteront la dégradation de la signature financière de l’Italie pour la ravaler au rang des investissements spéculatifs. En application de ses règles, la BCE aura l’interdiction d’acquérir des titres de la dette italienne, mécanisme grâce auquel Mario Draghi a cassé la stagnation et impulsé la reprise de la péninsule. Les marges de manœuvre de la BCE sont limitées par les mesures de reflation engagées depuis 2014 tandis que le mécanisme de stabilité ne dispose pas de la taille suffisante pour réassurer la dette italienne.
En Italie, la remontée brutale des taux d’intérêt va casser la croissance qui s’était redressée autour de 1,5 % et renforcer le chômage. Le déficit budgétaire se creusera fortement du fait de la baisse des impôts, de la multiplication des dépenses sociales et de la hausse du service de la dette. Les banques italiennes, qui avaient engagé leur recapitalisation et leur restructuration, seront rapidement menacées du fait de leur dépendance vis-à-vis de la dette publique mais aussi de la volonté des populistes de freiner le traitement de leurs prêts non performants. L’annihilation de la reprise aura donc pour pendant l’aggravation de la crise structurelle de l’Italie liée au retard d’adaptation de son appareil de production à la mondialisation.
L’Italie est la troisième économie de l’Union et de la zone euro, avec un PIB dix fois supérieur et une dette publique sept fois supérieure à ceux de la Grèce. Sur le plan économique, le net ralentissement de la zone euro depuis la fin 2017 s’amplifiera. L’effet positif de la baisse de l’euro sera plus que compensé par la contagion de la crise italienne à l’Europe du Sud : les taux d’intérêt des dettes espagnole et portugaise se sont déjà relevés tandis que la sortie définitive de la Grèce de l’aide de l’Union et du FMI, programmée pour août, est compromise. L’ambition de refondation de l’Europe affichée par Emmanuel Macron se trouve tuée dans l’œuf – du renforcement de la mutualisation au sein de la zone euro à l’union bancaire en passant par la souveraineté commerciale, fiscale et numérique de l’Union ou encore par la construction d’une défense européenne. Sur le plan politique se dessine une vague populiste qui pourrait submerger le Parlement européen l’an prochain.
Matteo Renzi, en raison de son autoritarisme et de son isolement, a dramatiquement échoué dans son rêve de devenir le Macron italien ; Emmanuel Macron doit prendre garde à ne pas se transformer en Renzi français.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 mai 2018)