Symbole des ravages du populisme, l’Argentine doit tirer les leçons de sa chute et soutenir un redressement encore fragile.
L’Argentine demeure le cas le plus emblématique des ravages du populisme. Le pays, qui regorge de richesses, comptait parmi les dix premières puissances économiques dans l’entre-deux-guerres. Il a été ravalé du 10e au 21e rang mondial depuis 1945. Et cela en raison du péronisme, qui a dévasté la vie politique depuis 1943 et dont les douze années de kirchnerismo furent le dernier avatar.
La dérive autoritaire et étatiste de Nestor puis Cristina Kirchner, après avoir été masquée par le super-cycle des matières premières tiré par la croissance chinoise, a laissé le pays en faillite. Faillite économique avec la stagnation de l’activité, l’effondrement de la compétitivité et l’envol de l’inflation. Faillite sociale avec un chômage endémique et le basculement du tiers de la société dans le secteur informel. Faillite financière avec un déficit public insoutenable, l’effondrement du peso, la rupture avec les investisseurs et les institutions internationales en raison de la gestion calamiteuse de la restructuration de la dette. Faillite politique avec la généralisation du clientélisme, de la corruption et de l’insécurité.
L’élection de Mauricio Macri, en décembre 2015, a marqué une rupture salutaire. Un programme cohérent de réformes a été engagé afin de réhabiliter l’État de droit, de transformer le modèle économique et de réintégrer le pays dans les échanges et les paiements mondiaux : coupes dans les subventions en faveur de la consommation d’énergie et des transports ; réforme de l’État et des retraites ; levée du contrôle des changes ; négociation d’un accord sur la dette et retour de l’Argentine sur les marchés internationaux. Cette stratégie, en dépit de la chute des matières premières qui a provoqué une récession accompagnée d’une hausse du chômage et de l’inflation en 2016, s’est révélée payante. Sur le plan économique, l’Argentine a renoué avec une croissance de 3,5 % en 2017. Sur le plan politique, Mauricio Macri, après avoir résisté à une grève générale, a nettement remporté les élections législatives et sénatoriales de mi-mandat en octobre 2017, qui virent la défaite de Cristina Kirchner dans son fief de Buenos Aires.
Le redressement reste cependant fragile et l’Argentine connaît une nouvelle crise monétaire et financière depuis le début de l’année 2018. Le peso argentin s’est déprécié des deux tiers en un an face au dollar. Les capitaux se détournent et fuient alors même que la dette extérieure atteint 233 milliards de dollars. Le spectre d’un défaut de paiement est de retour, dix-sept ans après l’implosion du pays et de ses banques fin 2001.
Le renouveau brutal du risque de cessation des paiements de l’Argentine trouve son origine dans des facteurs internes et externes. Sur le plan monétaire, une erreur majeure, comme en 1998, avec le refus d’augmenter les taux d’intérêt en décembre 2017. Sur le plan politique, un début de pause dans les réformes, notamment en matière de maîtrise des dépenses publiques. Mais le déclencheur du choc est venu des États-Unis, avec la hausse conjuguée du dollar et des taux d’intérêt à dix ans qui ont franchi le seuil de 3 %.
L’Argentine semble aujourd’hui en position de maîtriser la spirale infernale de la défiance, en attirant les capitaux nécessaires à la couverture du service de sa dette et de son déficit courant. Le pays conserve pour l’heure sa stabilité politique.
Le risque de contagion du choc argentin demeure donc limité. Mais il souligne la vulnérabilité des pays émergents face à la montée du dollar et des taux d’intérêt – encouragée par la relance keynésienne d’une économie américaine en plein emploi – , à laquelle s’ajoutent la hausse du prix du pétrole, le climat de guerre commerciale et technologique, la remontée de la volatilité sur les marchés du fait des risques géopolitiques. Les pays comme la Turquie cumulant fort déficit courant et dette extérieure en dollars, dépendance aux hydrocarbures et dérive autocratique sont tout particulièrement menacés.
Le gouvernement de Mauricio Macri doit être soutenu par la communauté internationale tant il constitue un môle contre le populisme qui met en péril l’Amérique latine, du Brésil au Mexique et à la Colombie en passant par le Venezuela, réduit à l’état de pays zombie par Nicolas Maduro. Les faillites d’État demeurent possibles et leurs dommages sont plus importants encore pour les populations que pour les créanciers. Le monde émergent n’a le monopole ni du renouveau des crises financières ni des ravages du populisme, comme le souligne l’Italie en Europe. Face aux risques globaux du XXIe siècle, les institutions multilatérales, même si elles doivent être réformées, conservent toute leur utilité et doivent être protégées des embardées des États-Unis de Donald Trump.
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 mai 2018)