À la tête de l’État depuis février, Cyril Ramaphosa est en passe de réussir son pari : sortir de la crise son pays, ruiné par Jacob Zuma et son clan.
Le destin du XXIe siècle se jouera largement en Afrique. Le continent est la nouvelle frontière potentielle de la mondialisation et recèle un formidable gisement de croissance. Simultanément, sa population va doubler d’ici à 2050 pour compter 2,5 milliards d’habitants et progresser jusqu’à 4,1 milliards en 2100. Dès lors, l’échec du décollage économique entraînerait une catastrophe humaine et géopolitique dont les conséquences seraient tragiques, y compris pour l’Europe.
L’Afrique du Sud est symbolique de ce défi. Durant la seconde moitié du XXe siècle, elle fut en même temps un pôle de stabilité et de développement, un pilier de la résistance à l’Union soviétique au cours de la guerre froide, mais aussi et surtout l’emblème du racisme d’État. La fin de l’apartheid et la transition démocratique l’ont érigée en porte-drapeau d’une Afrique libérée de la malédiction du « mal-développement », de la servitude et des séquelles du colonialisme. Puis la nation arc-en-ciel s’est transformée en homme malade du continent sous la férule kleptocratique de Jacob Zuma.
Au moment où le continent s’engageait dans une croissance moyenne de 5 % par an entre 2000 et 2014, les dérives de l’Etat ANC ont enfermé ce pays dans la stagnation. La croissance potentielle a chuté pour plafonner autour de 1 %. Le poids de son économie est passé de 20,8 % à 15,3 % du PIB de l’Afrique. L’inflation s’est installée au-delà de 5 % par an. Le chômage touche plus du tiers de la population active et plus de la moitié des jeunes. La dette publique représente 56 % du PIB et la balance courante affiche un solde négatif de 5 % du PIB. Le rand s’est massivement déprécié et la notation souveraine a été dégradée en catégorie spéculative. Par sa démagogie et l’institutionnalisation de la prévarication – avec l’affermage des immenses richesse du pays à la famille Gupta –, Jacob Zuma a encore plus profondément ruiné le crédit politique et international de l’Afrique du Sud. Et ce jusqu’à provoquer une crise profonde de l’ANC après le désastre des élections municipales d’août 2016.
Cyril Ramaphosa, « fils préféré »de Nelson Mandela (« Ma-diba »), qui dut s’effacer devant Thabo Mbeki en 1996, ne doit qu’à l’emballement de la crise économique et politique d’avoir été élu de justesse à la tête de l’ANC en décembre 2017 puis président de l’Afrique du Sud le 15 février, après la démission forcée de Jacob Zuma, menacé de destitution. Alors que le temps lui est compté puisque les prochaines élections générales se dérouleront en avril 2019, le nouveau président commémore le centième anniversaire de la naissance de « Madiba » en tentant de raviver l’esprit de la nation arc-en-ciel. Non sans succès.
L’Afrique du Sud connaît une « ramaphoria » qui n’est pas sans rappeler la « macronmania » qui s’est emparée de la France au printemps 2017. Si les trajectoires des deux hommes sont aux antipodes, ceux-ci sont portés par la même volonté des citoyens de mettre fin à un système politique bloqué et de transformer un modèle insoutenable ; ils partagent une même conception de la réforme comme une mécanique de choc et de vitesse.
Cyril Ramaphosa se montre aussi rapide dans l’exercice du pouvoir qu’il a été patient pour sa conquête. En deux mois, il a redéfini une stratégie économique donnant la priorité au secteur privé et cherchant à attirer les capitaux internationaux, restauré l’autorité et la neutralité de l’Etat en évinçant les séides de Jacob Zuma et les clients des Gupta, remis en marche l’Etat de droit. Le retour à la stabilité politique a permis la reprise. La croissance, attendue à plus de 2 % en 2018 et 2019, a doublé. Le rand s’est apprécié de 15 % face au dollar, la notation financière est consolidée et la confiance des investisseurs revient.
Pour autant, le pari du redressement est loin d’être gagné. Le nouveau président va devoir affronter les maux structurels qui pèsent sur l’Afrique du Sud. Le premier est économique. Sa compétitivité est minée par le fait qu’il présente des structures et des coûts proches de ceux d’un pays développé sans en présenter les atouts (technologies, infrastructures, services publics…). D’où un chômage endémique officiel de 27 %, mais en réalité de plus de 36 %. Le second handicap est indissociable des séquelles de l’apartheid. Les inégalités demeurent … … immenses, alimentant les frustrations de la population et une criminalité chronique.
L’Afrique du Sud est donc en quête d’un nouveau pacte économique et social, pour favoriser son développement et mieux redistribuer les richesses tout en attirant les indispensables capitaux étrangers. Cyril Ramaphosa a commencé à en dessiner certaines lignes : le renforcement du droit de priorité et la distribution des terres abandonnées ou appartenant à l’État ; l’introduction d’un revenu minimum fixé à 244 euros et la libéralisation du marché du travail ; la conclusion d’une nouvelle charte minière et la reconfiguration des entreprises d’État.
Le redressement de l’Afrique du Sud est vital pour le décollage du continent, qui reprend son essor, avec une croissance de 3,4 % en 2018 et 3,8 % en 2020, adossée à une classe moyenne de 350 millions de personnes et à un développement de plus en plus endogène. Après s’être libéré de l’apartheid, le pays doit vaincre la corruption que l’État ANC a installée et qui demeure une arme de destruction massive du développement, de la société et de la démocratie.
(Chronique parue dans Le Point du 03 mai 2018)