L’échec de la refondation de l’Union aurait des conséquences dramatiques pour la France comme et la capacité de l’Europe à figurer parmi les acteurs du XXIe siècle.
La fenêtre étroite qui s’ouvrait pour réformer l’Europe est en passe de se refermer sur un nouvel échec. Plus Emmanuel Macron discourt, plus Angela Merkel est tétanisée, plus Viktor Orban marque des points.
L’Europe profite de l’amélioration de la conjoncture mondiale, qui portera la croissance de la zone euro à 2,4 % en 2018. Mais le haut du cycle est atteint et les risques renaissent. Ils sont liés à la surévaluation des marchés d’action, à la hausse des taux d’intérêt, à la guerre commerciale, monétaire et technologique entre les États-Unis et la Chine. L’onde de choc populiste a repris son élan avec la percée de l’AfD en Allemagne, une Italie rendue ingouvernable, le triomphe de la démocratie illibérale lors des élections tchèque et hongroise. Force est ainsi de constater que les cinq chantiers autour desquels devait s’organiser la refondation de l’Europe sont bloqués.
Le premier touche au périmètre et à l’identité de l’Union. D’un côté, la cohérence des Vingt-Sept s’effrite au cours de la deuxième phase des négociations du Brexit, notamment à propos du statut de la City vers laquelle la Commission a fait un pas en envisageant d’appliquer un système d’équivalence aux services financiers. De l’autre, aucune clarification n’est intervenue sur la candidature de la Turquie en dépit des dérives de la démocrature islamique de Recep Erdogan et la Commission propose d’ouvrir des discussions d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine en dépit du chaos qui règne dans les Balkans.
Le deuxième concerne la zone euro. Toutes les initiatives françaises qui visent à la renforcer pour affronter les futurs chocs – budget, ministre des Finances, élargissement du Mécanisme de solidarité par un Fonds monétaire européen, achèvement de l’union bancaire, convergence fiscale et sociale – font désormais l’objet d’un tir de barrage croisé de la CDU-CSU en Allemagne, de l’Europe du Nord rangée derrière les Pays-Bas de Mark Rutte, du Luxembourg et de l’Irlande hostiles au rapprochement des normes fiscales et sociales comme à la taxation des géants du numérique.
Le troisième a trait à la circulation des personnes et à la crise des migrants, qui divise les pays membres de l’Union tout en alimentant le renouveau du populisme. Un espace de libre circulation n’est pas soutenable sans des règles claires et effectives en matière d’immigration et d’asile ni sans contrôle strict de ses frontières extérieures. Or il reste aujourd’hui dans les limbes.
Le quatrième impératif concerne l’union de la sécurité, dont les missions devraient comprendre la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures critiques, le contrôle des frontières extérieures et la cyberdéfense. Or les actes ne cessent de jurer avec les mots. La guerre de Syrie et les frappes pour sanctionner les bombardements chimiques effectués par Damas ont souligné que la France reste la seule puissance militaire européenne après le Brexit. Mais elle n’a pour partenaire crédible que le Royaume-Uni dès lors que l’Allemagne n’a ni la volonté ni les moyens d’agir. L’ultime enjeu est lié à la démocratie et aux valeurs de l’Europe. L’Union se montre incapable de répondre au défi politique que lui lance Viktor Orban et sa pseudo-démocratie, illibérale dans son appellation et liberticide dans les faits. Simultanément, le projet d’Emmanuel Macron de créer une République européenne en marche avec les forces modérées de gauche et de droite a fait long feu avec l’effondrement des partis socialistes, à l’image du SPD de Martin Schulz ou du PD de Matteo Renzi, ainsi que la flambée des populistes.
La responsabilité de l’Allemagne est majeure dans la chronique de ce naufrage annoncé. Elle a de nouveau un gouvernement mais n’a plus de chancelière, le culte de la stabilité et la peur panique de l’extrême droite tuant toute ambition et tout projet pour l’Europe. Mais Emmanuel Macron est loin d’être indemne de tout reproche. Sur le fond, il a cultivé l’ambiguïté sur le contrôle des frontières et sur la sécurité tout en poursuivant la course folle des dépenses, des recettes et de la dette publiques, ce qui constitue le premier obstacle à la mutualisation au sein de la zone euro.
L’échec de la refondation de l’Union aurait des conséquences dramatiques pour le redressement de la France – dont elle est le corollaire obligé – comme pour la capacité de l’Europe à figurer parmi les acteurs du XXIe siècle. Seuls un sursaut et un tournant radical d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron peuvent l’éviter mais le temps leur est compté. Hegel, croisant l’Empereur qui partait en reconnaissance la veille de la bataille d’Iéna, écrivit à son éditeur avoir vu en Napoléon la liberté à cheval. Emmanuel Macron prétendait être le héraut de l’Europe en marche ; il incarne de plus en plus l’Europe en panne.
(Chronique parue dans Le Figaro du 24 avril 2018)