La présidence chinoise se rapproche d’un pouvoir absolu d’inspiration maoïste. Avec pour objectif, la conquête du leadership mondial.
Dans le droit fil du XIXe Congrès du parti communiste chinois qui a inscrit la pensée de Xi Jinping dans sa charte, l’érigeant en égal de Mao, l’Assemblée nationale du peuple s’apprête à réviser la Constitution pour supprimer la limitation de la présidence à deux mandats de cinq ans. La voie s’ouvre ainsi à une nouvelle candidature de Xi Jinping en 2023, date à laquelle il sera âgé de 69 ans, mais surtout à une présidence à vie. L’institutionnalisation de la nature dictatoriale du pouvoir de Xi Jinping va de pair avec le regain du culte de la personnalité et avec une salve de nominations dans l’État, après le Parti, qui supprime toute opposition.
Le basculement vers une présidence impériale marque une rupture majeure avec les principes fixés par Deng Xiaoping pour la modernisation de la Chine, afin d’interdire une nouvelle Révolution culturelle. Le maintien du monopole du pouvoir du Parti communiste, brutalement réaffirmé lors de la répression du mouvement de Tiananmen en 1989, avait pour contreparties l’adoption d’une direction collégiale, la limitation de l’exercice du pouvoir suprême à dix ans ainsi qu’une détente dans le contrôle idéologique de l’économie, de la société, du système éducatif et des médias. Tout ceci est désormais caduc.
Xi Jinping enterre également l’illusion cultivée en Occident selon laquelle la conversion au capitalisme conduirait inéluctablement la Chine à évoluer vers une économie de marché, à mettre en place un État de droit et à accepter des formes au moins dégradées de démocratie. La preuve est faite que capitalisme et technologies ne consolident pas en Chine la démocratie mais la démocrature, que son insertion dans les échanges et les paiements mondiaux ne se traduit pas par l’adhésion mais par la contestation frontale des valeurs de l’Occident, que son extraordinaire montée en puissance n’a pas pour but la stabilité du monde mais la conquête du leadership au détriment des États-Unis.
Xi Jinping légitime son pouvoir illimité par la nécessité de réformer le modèle économique chinois et par l’accélération de la projection de puissance que permet le démantèlement par Donald Trump des instruments de la puissance américaine.
La transformation du modèle de développement fondé sur la faiblesse des coûts et l’exportation vers une croissance plus qualitative, tournée vers la demande intérieure et les services, est impérative. Or, le premier mandat de Xi a donné la priorité à la prise du pouvoir sur les réformes. Les transformations économiques devraient donc s’amplifier. Avec pour objectif la lutte contre le surendettement, la finance clandestine, la pollution et la pauvreté. Avec pour levier l’internationalisation du yuan. Avec pour ambition le dépassement technologique des États-Unis, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.
Simultanément, la stratégie globale de la Chine pour devenir la première puissance de la planète à l’horizon de 2030 se déploie à vive allure. Elle repose sur quatre piliers. La réaffirmation du monopole du Parti et de son idéologie. L’affectation des dividendes de la croissance aux entreprises et aux salariés chinois au détriment des firmes étrangères. L’expansion en mer de Chine, notamment par la militarisation d’îlots stratégiques, le renforcement de la pression sur Taïwan, le retournement d’alliés traditionnels des États-Unis en Asie tels que les Philippines ou la Malaisie.
Enfin, la projection du modèle économique et politique chinois grâce aux nouvelles routes de la soie, qui mobilisent 1 000 milliards de dollars dans une centaine de pays au service de la prise de contrôle des infrastructures critiques de la mondialisation, ainsi qu’à l’entrée en force dans les institutions multilatérales – du libre-échange à l’accord sur le climat – , favorisée par le repli américain.
Pour autant, le retour de la Chine vers un pouvoir absolu d’inspiration maoïste comporte des risques considérables. La modernisation de l’économie, l’évolution vers les services à haute valeur ajoutée privilégiant la connaissance et l’innovation sont difficilement compatibles avec le durcissement du contrôle idéologique et de la répression. Présidence impériale, arbitraire et culte de la personnalité suscitent de vives réactions au sein des élites, de la jeunesse et de la société civile, dont la vitalité est réelle même en l’absence de suffrage universel. Le pouvoir illimité est gros de risques d’aventures extérieures en cas de difficultés intérieures. En écartant la prudence de Deng et en s’engageant dans une compétition technologique, militaire et stratégique ouverte avec les États-Unis, la Chine de Xi fait peur et fragilise la mondialisation qui a permis son ascension. Il n’est pas d’exemple dans l’histoire d’une expérience de pouvoir personnel illimité dont la fin soit heureuse.
(Chronique parue dans Le Figaro du 05 mars 2018)