La relance keynésienne poursuivie par Donald Trump ne peut déboucher que sur un choc financier.
Dix ans après la plus grave crise du capitalisme depuis le krach d’octobre 1929, la situation économique tranche avec celle des années 1930. Loin d’être enfermée dans une grande dépression, l’économie mondiale a renoué avec une croissance de 3,9 % et avec le plein emploi puisque le taux de chômage a été ramené à 5,6 % de la population active. Mieux, 179 des 192 pays représentant 99 % du PIB mondial affichent une croissance positive et les déséquilibres des échanges et des paiements mondiaux se réduisent.
Pourtant, les marchés financiers enregistrent depuis le début du mois de février leur plus violente correction depuis octobre 2008. La capitalisation mondiale a chuté de 7 500 milliards de dollars, perdant près de 10 %. Le marché obligataire subit des désengagements massifs, qui touchent en priorité les emprunts des entreprises à haut rendement. La volatilité effectue un retour en force. Les bulles financières constituées autour des cryptomonnaies, bitcoin en tête, éclatent.
Cette divergence entre l’économie et la finance s’explique par les politiques économiques conduites dans nombre de pays développés, à commencer par les États-Unis. Elles cherchent souvent à endiguer la poussée des populismes par des politiques procycliques dangereuses, tout en négligeant les réformes de long terme indispensables.
Après le krach de Lehman Brothers, en 2008, tous les leviers de la politique économique ont été activés. Une décennie plus tard, nous entrons dans une nouvelle ère. Les pressions déflationnistes et le chômage de masse s’effacent devant le retour de l’inflation et des hausses de salaires qui atteignent 2,1 % et 2,9 % sur un an aux États-Unis. Le temps de l’argent gratuit s’achève avec la hausse des taux d’intérêt qui s’applique à un stock de 230 000 milliards de dollars de dettes publiques et privées. La coopération internationale a été abandonnée au profit des stratégies de dérégulation compétitive, des guerres commerciales et monétaires, de la désintégration des institutions et des règles multilatérales. Elle est minée par la rivalité ouverte pour le leadership mondial entre des États-Unis déclinants et une Chine en pleine ascension.
Si le soft power des États-Unis est en voie de démantèlement, leur capacité à exporter leurs dérèglements économiques et financiers au reste du monde reste intacte. Les nouveaux risques naissent d’une politique budgétaire démesurément expansionniste, qui cherche à porter la croissance effective au-dessus de la croissance potentielle et à masquer l’envolée des inégalités. Engager une relance keynésienne sur une économie en plein emploi ne peut déboucher que sur un choc financier. Or, c’est exactement la ligne poursuivie par Donald Trump.
L’économie américaine est en expansion depuis avril 2009 et progresse de 2,5 % par an. Le taux de chômage a été ramené à 4,1 %. Les défis majeurs qui se présentent désormais portent sur la stagnation de la productivité, l’aggravation des fractures sociales et territoriales, l’adaptation à l’ère digitale, la résorption du surendettement et la reconstitution de marges de manœuvre pour la politique économique afin de faire face au prochain retournement.
La Fed a engagé au cours des dernières années une stratégie progressive de normalisation monétaire, accompagnant la réduction du déficit de l’État fédéral de 9 % à 3 % du PIB entre 2010 et 2016. Le tournant populiste de Donald Trump réduit en miettes cet équilibre en donnant la priorité au protectionnisme, à la déréglementation financière – à travers la remise en cause du Dodd-Frank Act de 2010 – et au déficit budgétaire.
Pour les dix prochaines années ont été programmés une baisse des impôts de 1 500 milliards de dollars – ciblée vers les plus favorisés – , un plan de modernisation des infrastructures de 1 500 milliards et une relance des investissements militaires de 1 200 milliards. Près de 400 milliards de dépenses nouvelles sont envisagés pour 2019, ce qui porterait le déficit de l’État fédéral à 984 milliards de dollars. La dette fédérale, qui s’élève aujourd’hui à 77 % du PIB, approcherait 100 % du PIB en 2027. L’effet sur la croissance sera marginal car l’économie américaine utilise aujourd’hui pleinement ses capacités. Les conséquences sur la hausse des prix et des taux d’intérêt seront en revanche destructrices.
Le risque d’un nouveau krach monte, alors que les séquelles du précédent sont loin d’être effacées et que les marges de manœuvre de la politique économique sont épuisées. Force est de constater qu’au-delà de l’urgence, les leçons de 2008 n’ont pas été tirées. Ni au plan économique avec l’utilisation de la reprise pour évoluer vers une croissance inclusive. Ni au plan financier avec la multiplication des bulles et la tolérance pour la finance de l’ombre. Ni au plan intellectuel avec une connaissance qui reste lacunaire de la contagion des risques et des chocs dans une économie mondialisée. Ni au plan politique avec l’indifférence face aux causes profondes du populisme.
La France et l’Europe sont particulièrement vulnérables à un choc financier qui viendrait télescoper leur récente reprise. La France, qui empruntera cette année 180 milliards sur les marchés, doit impérativement réduire sa dette publique, qui culmine à 98,1 % du PIB. En Europe, l’urgence va au renforcement des institutions de la zone euro, notamment par la création d’un fonds monétaire européen, et à l’accélération de la restructuration des banques. En France comme en Europe, le meilleur antidote au retour de l’instabilité financière reste la réforme au service d’une croissance inclusive et durable.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 février 2018)