Venezuela, Mexique, Brésil… À l’aube d’élections cruciales, le continent sud-américain est engagé dans une lutte entre démocratie et populisme.
L’onde de choc populiste partie du Royaume-Uni et des Etats-Unis menace de rattraper l’Amérique latine, qui a largement contribué à son invention, notamment à travers le péronisme. D’un côté, la reprise économique se confirme avec une prévision de croissance de 1,9 % en 2018 et 2,6 % en 2019 ; de l’autre, le risque politique connaît une brutale aggravation alors que sept scrutins majeurs se dérouleront en 2018.
Le Venezuela poursuit sa descente aux enfers, démontrant chaque jour davantage que la dictature est le stade ultime du socialisme. En dépit de l’effondrement de l’activité, d’une inflation qui a atteint 2 610 % en 2017, de la famine et de la pénurie, Nicolas Maduro entend donner un sursis au chavisme, grâce à une élection présidentielle anticipée qui devrait se tenir avant fin avril.
Le Brésil et le Mexique, qui sont les deux principales puissances du sous-continent, abordent pour leur part des élections décisives dans un climat d’incertitude sans précédent depuis leur retour à la démocratie.
Le Mexique affronte une tempête parfaite. Il constitue la première cible du tournant nationaliste, protectionniste et xénophobe de Donald Trump, du mur sur la frontière à la renégociation de l’Alena en passant par le projet de taxe sur les importations. Sa vulnérabilité est considérable, puisque 80 % de ses exportations sont dirigées vers les États-Unis, générant un excédent commercial de 104 milliards de dollars. Simultanément, l’Etat et la société se désintègrent. La violence échappe à tout contrôle, avec 25 339 meurtres en 2017, dont les trois quarts sont dus au crime organisé.
L’élection du 1er juillet n’a rien pour rassurer. Elle mettra aux prises, du côté du PRI, le candidat promu par l’actuel président Enrique Peña Nieto, l’ex-ministre des Finances José Antonio Meade, fragilisé par la corruption, et, du côté de la gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, le favori de l’élection qui communie dans le nationalisme, l’étatisme et le refus des indispensables réformes.
Le Venezuela poursuit sa descente aux enfers, démontrant chaque jour que la dictature est le stade ultime du socialisme.
La situation au Brésil est encore plus tendue. Avec une croissance de 1,1 % en 2017 et 3 % en 2018, le pays émerge à peine de la pire récession depuis les années 1930, marquée par une chute du PIB de 7,2 % entre 2014 et 2016. L’inflation est revenue à 3 % et la balance commerciale affiche un excédent de plus de 65 milliards de dollars en 2017. Petrobras se redresse, bénéficiant à plein de la hausse du prix du pétrole, autour de 65 dollars le baril. L’administration de transition de Michel Temer présente donc un bilan honorable en termes de sortie de crise, même si le projet de réforme des retraites a échoué devant le Parlement en dépit d’un déficit insoutenable de 2,8 % du PIB. Mais, là encore, la crise sociale et politique menace la stabilité du pays. Le chômage touche encore 12 % de la population active et le quart de la population survit avec moins de 100 dollars par mois. Le virus Zika et l’épidémie de fièvre jaune ont souligné le manque d’infrastructures et l’inefficacité des services de santé. La violence se déchaîne avec 61 619 homicides l’an dernier. Enfin, le système politique et les dirigeants sont totalement discrédités par les scandales Petrobras et Odebrecht. La colère des citoyens face aux inégalités et à la corruption crée un risque réel pour la démocratie lors de l’élection présidentielle de 2018.
D’un côté, Lula, crédité de 34 à 36 % des intentions de vote, maintient sa candidature en dépit de sa condamnation en appel à douze ans et un mois de prison, ce qui lui vaut d’être inéligible. De l’autre, l’ancien parachutiste Jairo Bolsonaro est soutenu par 15 % des électeurs alors qu’il revendique le retour à la dictature. Tous deux sont unis par la démagogie, récusent l’Etat de droit et la Constitution de 1988, jouent à fond sur les passions collectives.
La démocratie se trouve soumise à un test décisif en Amérique latine. Soit s’impose le parti de l’ouverture, de l’État de droit et de l’intégration régionale à travers la fusion entre le Mercosur et l’Alliance pacifique, conduits par le Chili, par la Colombie – qui connaîtra aussi des élections en forme de référendum sur le retour à la paix civile au mois de mai – et par l’Argentine de Mauricio Macri – très injustement boycottée par le pape François.
Soit se réarme la spirale populiste du culte des hommes forts, de la violence et de la misère, à l’exemple du chaos vénézuélien. Après le monde anglo-saxon en 2016 et l’Europe en 2017, l’Amérique latine sera ainsi en 2018 le théâtre central du combat entre démocratie et populisme.
(Chronique parue dans Le Point du 1er février 2018)