Malgré la reprise, l’heure n’est ni à l’euphorie, ni à la complaisance, tant l’embellie européenne demeure fragile.
La reprise de la zone euro se confirme au sein d’une économie mondiale qui progresse de 4 % par an, retrouvant le rythme de croissance d’avant le krach de 2008. La croissance s’est élevée à 2,3 % en 2017. Le taux de chômage a été ramené à 8,9 % de la population active grâce à la création de 7 millions d’emplois depuis 2013. La balance courante affiche un excédent de 350 milliards de dollars.
Le déficit et la dette publics ont été réduits à 1,1 % et 87 % du PIB. Avec une progression de l’activité prévue à 2,2 et 2 % en 2018 et 2019, la zone euro conjugue stabilité et dynamisme.
Les tensions internes entre le nord et le sud se sont atténuées grâce à la reprise de l’Europe méditerranéenne. La Grèce, après avoir été le détonateur de la crise et avoir perdu plus du quart de sa richesse nationale, renoue avec une progression de 1,6 % de l’activité et devrait se financer à nouveau sur les marchés à partir de l’été.
L’heure n’est pourtant ni à l’euphorie, ni à la complaisance. D’abord la reprise plafonne autour de 2 %, contrairement aux États-Unis où la croissance devrait dépasser 2,5 % et aux pays émergents où elle s’installe autour de 5 %. Le chômage reste élevé alors que le plein-emploi est solidement établi en Amérique du Nord et en Asie avec des taux de chômage limités à 4,5 % et 4,2 % de la population active.
Surtout l’embellie européenne demeure fragile, à la merci de la dégradation de son environnement extérieur ou d’un choc politique intérieur. L’amélioration trouve son origine principale dans la baisse simultanée de l’euro, des taux d’intérêt et des prix du pétrole à partir de 2014. Or cette configuration idéale appartient au passé.
La reprise est menacée par la hausse de l’euro face au dollar de 14 % en 2017 et 2 % depuis le début de l’année 2018. Elle pourrait se poursuivre car elle se nourrit de l’instabilité politique des États-Unis, entretenue par l’imprévisibilité de Donald Trump et la paralysie des institutions. L’appréciation de 10 % du change réduit les exportations de 5 à 8 % et la croissance de la zone euro pourrait ainsi se trouver amputée de 0,6 point cette année, freinant la décrue du chômage. L’inflation limitée à 1,4 % reste loin de la cible de 2 % fixée par la BCE. La surévaluation de l’euro ravive clivages et tensions entre le nord et le sud du continent, l’Allemagne et les pays scandinaves pouvant s’en accommoder alors que les entreprises et les pays les moins compétitifs décrochent – au premier rang desquels la France dont les parts de marché mondiales reculent à 3 % et qui affiche un déficit commercial de plus de 63 milliards d’euros en 2017.
Simultanément, la remontée des taux d’intérêt s’accélère (hausse de 0,30 à 0,57 % pour le Bund à dix ans depuis décembre), au moment où la succession de Mario Draghi, dont le mandat arrive à échéance le 31 octobre 2019, exacerbe la divergence des conceptions et des stratégies monétaires entre Allemagne et France, Nord et Sud. Enfin, le prix du pétrole s’est fortement redressé pour fluctuer entre 65 et 70 dollars par baril.
Ces risques économiques extérieurs sont redoublés par des menaces politiques intérieures. L’Allemagne peine à former un gouvernement tandis que l’Italie aborde les élections du 4 mars sous la pression du Mouvement Cinque Stelle. Une incertitude naît des volontés de sécession des régions riches comme la Catalogne ou l’Italie du Nord. Elles pourraient donner naissance à de nouveaux États insolvables du fait de la dévaluation de leurs monnaies, tout en déstabilisant les dettes publiques et les banques des États existants dont elles se sépareraient.
La politique économique ne dispose plus d’aucune marge de manœuvre pour répondre à un nouveau choc. La BCE n’a d’autre choix que d’intervenir si la hausse de l’euro se confirme, afin d’éviter de casser la reprise de l’Europe du Sud, ce qui aurait des conséquences catastrophiques.
L’heure est à l’accélération des réformes. Deux nations joueront un rôle décisif. La France dont le redressement est possible mais reste à faire comme le montrent le recul persistant de la compétitivité, la résistance du chômage de masse et l’incapacité à diminuer le déficit public structurel. L’Italie où la campagne est placée sous le signe d’une course à la démagogie, associant relance du déficit et dépenses publiques dans un pays dont la dette culmine à 132 % du PIB d’une part, retour sur les réformes du marché du travail et des retraites d’autre part.
La transformation des modèles nationaux a pour pendant la refonte des institutions de la zone euro afin de sortir du schéma insoutenable du traité de Maastricht. Le programme de travail est vaste : poursuite du renforcement de la BCE ; institution d’un ministre des Finances et d’un budget ; création d’un fonds monétaire européen pour répondre aux futurs chocs qu’implique la multiplication des bulles ; achèvement de l’union bancaire et garantie des dépôts ; mécanisme de restructuration ordonnée des dettes des États.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 janvier 2017)