Ciblage social et fiscal des familles, baisse de la natalité, pénurie de places en crèche… La France sacrifie son avenir.
Le bilan de l’année 2017 dressé par l’Insee confirme la fin de l’exception démographique française. La France compte désormais 67,2 millions d’habitants. Elle continue à occuper le deuxième rang en Europe, derrière l’Allemagne (82,8 millions) et devant le Royaume-Uni (65,8 millions). Mais le dynamisme qui constituait l’un de ses atouts appartient au passé. La population française n’a en effet augmenté l’an dernier que de 230 000 personnes, contre 624 000 en Allemagne et 426 000 au Royaume-Uni. Surtout, le solde naturel, qui s’élève à 164 000 personnes, est le plus faible depuis 1945. Et ce en raison d’une hausse de 9 000 des décès (603 000), liée à l’épidémie de grippe, mais plus encore à la chute des naissances, limitées à 767 000, soit un recul de 17 000. Leur nette diminution, pour la troisième année consécutive, marque un tournant dans l’histoire démographique de la France.
Quatre conséquences en résultent. Le taux de fécondité, qui s’établit désormais à 1,88 enfant par femme, est très loin de permettre le renouvellement de la population (2,05 enfants par femme). Le ralentissement de la croissance de la population est compensé par le recours à l’immigration : le solde migratoire théorique, calculé sur la moyenne des années 2012 à 2014, est évalué à 69 000, mais 262 000 titres de séjour ont été délivrés et 100 412 demandes d’asile déposées en 2017. La progression de l’espérance de vie, qui atteint 85,3 ans pour les femmes et 79,5 ans pour les hommes, va de pair avec l’accélération du vieillissement : les plus de 65 ans représentent désormais 19,2 % de la population, contre 15,5 % il y a vingt ans. En Europe, la France voit l’écart se resserrer non seulement avec le Royaume-Uni, dont le taux de fécondité s’élève à 1,8 enfant par femme, mais aussi avec l’Allemagne, où le taux de fécondité s’est redressé de 1,3 à 1,5 enfant par femme à la suite, notamment, de l’instauration d’un salaire parental et de l’augmentation des places en crèche.
De nombreuses raisons contribuent à expliquer l’hiver démographique qui rattrape la France : la rémanence du chômage structurel ; l’impact différé du krach de 2008 ; l’élévation de l’âge à l’accouchement (30,6 ans en 2017, contre 29,8 ans il y a dix ans) ; l’anxiété devant le décrochage du pays et le déclassement des Français. Le facteur déterminant demeure cependant le choc fiscal et social décidé par François Hollande, qui a réussi à inverser la courbe de la natalité à défaut de celle du chômage. Force est de constater que la fécondité a résisté à la stagnation économique, à l’inemploi et aux crises, puisqu’elle dépassait 2 enfants par femme jusqu’en 2014. C’est bien le cumul de la fin de l’universalité des allocations familiales, de l’abaissement du quotient familial, de la réduction de la prime de naissance et du démantèlement des emplois familiaux qui constitue la première raison de la baisse de la natalité. Ce ciblage fiscal et social des familles a par ailleurs été aggravé par la pénurie des places en crèche et par l’effondrement du système éducatif.
Les changements de la démographie sont lents mais durables ; ils pèsent fortement sur le destin des nations. La chute des naissances est indissociable d’une baisse de la croissance potentielle, comme le montrent le Japon ou l’Italie. Elle ne peut être contrebalancée que par un appel supplémentaire à l’immigration, au risque de déchaîner les populismes. Elle aggrave le déséquilibre financier du système de retraite et rend plus urgent le relèvement de l’âge légal qui permet d’y accéder, fixé à 62 ans, alors qu’il est compris entre 65 et 68 ans dans tous les autres pays développés. Elle pèse sur les mentalités en exprimant un pessimisme foncier sur l’avenir : au même titre que la hausse des taux d’intérêt pour l’économie, la chute des naissances témoigne de la préférence de la société pour le présent et de ses doutes sur le futur. Le démantèlement de la politique familiale annihile ainsi le seul volet de l’Etat providence tourné vers l’avenir et le soutien de la croissance, et non pas la gestion de risques présents que sont les assurances pour la santé, la retraite ou le chômage.
Il n’est pas de stratégie crédible de redressement de la France sans dimension démographique. Une politique familiale ambitieuse n’est certes pas suffisante – tant les mentalités jouent un rôle clé à côté des politiques publiques –, mais elle est indispensable et efficace, ainsi que le prouvent les premiers résultats obtenus par l’Allemagne et la Russie pour enrayer leur déclin démographique. Son pilier central, essentiel au contrat politique et social entre les Français, doit être le retour à l’universalité des allocations familiales, qu’il faut fiscaliser. Mais l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, l’augmentation des places en crèche, l’encouragement des emplois familiaux, qui contribuent simultanément à la lutte contre le chômage, la transformation du système éducatif ont aussi un rôle important à jouer.
Alfred Sauvy soulignait que « moins cruels qu’Ugolin, qui dévorait ses enfants pour leur conserver un père, les hommes d’aujourd’hui se contentent de ne pas avoir d’enfants pour leur conserver des parents ». Le malthusianisme d’État qui surtaxe les parents et exclut les enfants des politiques sociales est suicidaire.
(Chronique parue dans Le Point du 25 janvier 2017)