Le renouveau des migrations est mondial. La diminution des flux n’enlève rien à la gravité de la crise.
L’Europe est confrontée depuis 2014 à la plus importante vague de migration depuis l’après-Seconde Guerre mondiale. Elle a culminé en 2015 avec l’entrée dans l’Union de 2,7 millions de personnes, dont 1,3 million de réfugiés. Depuis, l’afflux s’est ralenti en raison de la fermeture de la route des Balkans puis de la mise en place d’une double ligne de contrôle des mouvements de population au niveau du Niger et du Tchad puis en Libye qui ont fortement réduit les arrivées en Italie. Le nombre de demandes d’asile a été ramené en Allemagne de 890 000 en 2015 à 280 000 en 2016 et 187 000 en 2017, année où la France a enregistré pour sa part 100 412 demandes.
Le renouveau des migrations n’est pas seulement européen mais mondial. Il est durable car il trouve son origine dans des évolutions de long terme : l’explosion démographique de l’Afrique qui gagnera 2 milliards d’habitants d’ici à la fin du siècle sans disposer partout des ressources nécessaires tandis que la population de l’Europe diminuera de plus de 100 millions ; la dynamique de la violence découlant du djihad et de la multiplication des guerres civiles ; le chaos provoqué par les révolutions avortées et l’effondrement des États dans le monde arabo-musulman, notamment sur la rive sud de la Méditerranée que contrôlaient des régimes dictatoriaux ; enfin, les effets du réchauffement climatique.
Les conséquences de cette vague migratoire pour les démocraties sont immenses. Elle joue un rôle clé dans la poussée populiste, la figure du migrant concentrant toutes les peurs des citoyens des pays développés qu’attisent les démagogues. D’où la délégitimation des institutions démocratiques et la montée des extrémistes comme il a été montré du Brexit à la percée de l’extrême droite en Allemagne et en Autriche en passant par le ralliement des pays du groupe de Visegrad à la démocratie illibérale.
Elle pose de réels problèmes de sécurité en raison de l’hybridation des réseaux criminels et des organisations terroristes qui développent toutes les formes de trafic – dont celui des êtres humains avec à la clé le renouveau de l’esclavage. Elle constitue une machine à diviser les nations libres et à les opposer entre elles. Elle représente une arme redoutable entre les mains des djihadistes mais aussi des démocratures russe et turque, qui se servent des migrants comme d’un moyen de pression.
L’Europe et les nations qui la composent ont pour l’heure subi la crise au lieu d’agir. À l’exception de la décision unilatérale prise par Angela Merkel en 2015 d’ouvrir les frontières dont les résultats se sont révélés catastrophiques pour elle – car elle a ruiné son leadership -, pour l’Allemagne – où elle a fait le lit de l’extrême droite et paralysé les institutions – et pour l’Union qui s’est déchirée tout en faisant la démonstration de son impuissance avec l’échec complet des plans de relocalisation. Il est temps de définir et de déployer une politique claire.
Plusieurs principes méritent d’être rappelés. La mobilité des biens et des capitaux, des informations et des données implique celle des hommes.
Les sociétés vieillissantes et fermées sont promises au déclin, ce qui justifie l’ouverture de l’Europe à des jeunes et des talents extérieurs dans le contexte très compétitif de l’économie de la connaissance. Il existe par ailleurs un devoir d’humanité et de solidarité vis-à-vis des victimes de l’oppression.
Ceci n’implique pas pour autant un droit inconditionnel d’installation en Europe. La circulation des hommes n’est acceptable pour les démocraties que si elle respecte les règles de l’État de droit et les impératifs de leur sécurité. Enfin, l’accueil de migrants et de réfugiés n’a de sens que s’il est économiquement soutenable et s’il vise leur intégration dans la communauté des citoyens.
Les migrations sont exemplaires des risques du XXIe siècle qui relèvent d’une stratégie globale. Au plan national, chaque État doit rester libre de définir sa politique migratoire, en fonction de sa démographie, des besoins de son économie, de sa culture et de son histoire, y compris en fixant des objectifs chiffrés pour tenir compte de ses capacités d’accueil. Les migrants ne doivent pas être livrés à eux-mêmes mais recensés, hébergés et formés s’ils disposent d’un titre de séjour, reconduits sans délai s’ils ont été déboutés de leur demande : or la Cour des comptes, dans un rapport publié fin 2015, a montré qu’alors que les trois quarts des demandes d’asile sont rejetées, 96 % des déboutés restent sur le territoire français. Au plan européen, la priorité doit aller au contrôle strict des frontières extérieures et à une aide massive à la stabilisation politique et au développement des pays d’origine – dont la contrepartie est l’acceptation du retour des clandestins et des déboutés. La circulation des hommes, comme toute liberté, ne peut survivre que si elle est encadrée par des institutions fortes et des règles effectives.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 janvier 2017)