Alors que les grands pays développés ont tous renoué avec le plein-emploi, la France reste en retard et apparaît coupée de la reprise économique européenne.
Avec la sécurité, le chômage demeure la première préoccupation des Français. Son évolution déterminera largement le jugement qu’ils porteront sur le quinquennat d’Emmanuel Macron. Et ce pour d’excellentes raisons. Le chômage est un cancer qui détruit non seulement l’économie mais la société et la nation, faisant le lit de l’extrémisme et des populismes.
Après le tournant de la rigueur de 1983 et la stratégie du franc fort de la décennie 1990, le krach de 2008 a provoqué une troisième vague de montée du chômage, alors que les précédentes n’avaient pas été résorbées. Le nombre total de chômeurs a bondi de 3,53 millions à 6,71 millions entre juin 2008 et octobre 2017. À la fin de l’année dernière, le chômage, au sens du BIT, touchait encore 9,7 % de la population active. Il présente une nature structurelle et générationnelle, dont témoigne l’importance du chômage de longue durée (4 % de la population active) et du chômage des jeunes, qui culmine à 21,8 %.
Le chômage de masse qui continue à frapper la France reste une anomalie au sein des grands pays développés qui ont tous renoué avec le plein-emploi. États-Unis, Royaume-Uni et Allemagne ont rétabli le plein-emploi avec des taux de chômage ramenés à 4,1 %, 4,2 % et 3,6 %. Les fortes créations d’emplois ont permis de relancer l’intégration des jeunes : l’Allemagne offre 43 millions de postes de travail, ce qui limite à 6,6 % la proportion de chômeurs parmi les jeunes. La France apparaît à l’inverse coupée de la reprise européenne, qui a permis de réduire le taux de chômage dans l’Union à 7,3 % et dans la zone euro à 8,7 % grâce à la création de plus de 6 millions d’emplois en trois ans.
Le retard et la lenteur de la baisse du chômage en France s’expliquent par le niveau inégalé du chômage structurel, estimé à 9,2 % de la population active.
Il s’inscrit dans trois évolutions longues. D’abord la diminution de la croissance potentielle, autour de 1 % par an, en raison de la désintégration de l’appareil de production, notamment dans l’industrie, ainsi que du blocage de l’investissement et de l’innovation.
Le déficit du commerce extérieur, qui atteint 60 milliards d’euros sur onze mois en 2017, contre un excédent de 227 milliards pour l’Allemagne, témoigne de l’effondrement quantitatif et qualitatif de l’offre nationale. Ensuite, le coût et la surréglementation du travail, qui ont été partiellement corrigés par les ordonnances de 2017.
Enfin, l’inadaptation croissante des qualifications qui crée des goulots d’étranglement dans la production, du fait de la pénurie de travailleurs qualifiés et qui explique que 330 000 recrutements ont été abandonnés l’an dernier faute de candidats compétents.
La reprise de l’économie française réduit le chômage conjoncturel, mais bute sur le chômage structurel et sur l’insuffisance des capacités de production du fait de la pénurie de travail qualifié et d’investissement. De ce fait, la progression de l’activité plafonne en dessous de 2 % par an, et les créations d’emplois autour de 250 000 postes, alors qu’elles pourraient être plus que doublées, comme le prouvent les tensions croissantes sur les recrutements dans certains secteurs et dans certaines régions. Le retour de la croissance renforce ainsi la polarisation des emplois et des territoires, au risque d’exacerber les frustrations sociales et les passions extrémistes. Et ce d’autant que la révolution numérique s’apprête à remettre en cause la moitié des emplois existants d’ici à 2030.
Le retour au plein-emploi reste possible en France. Il ne peut cependant résulter de la seule croissance ; il dépend avant tout de l’accélération des réformes que l’amélioration de la conjoncture rend possible. Et ce autour de six priorités.
La levée des goulots d’étranglement, notamment par l’allongement de la durée du travail qualifié. La reconstruction d’un appareil de production moderne et performant par la mobilisation du capital au service de l’investissement, le déploiement des technologies digitales, la restauration de l’efficacité du système énergétique. L’accompagnement des nouvelles formes d’emploi et du renouveau du travail indépendant.
La réorientation de l’assurance-chômage vers le retour à l’emploi. La réforme de l’État, décisive pour générer des gains de productivité tout en redéployant les sureffectifs publics dans le secteur privé.
La transformation radicale de l’éducation et de la formation au service du renforcement des compétences et de l’employabilité, notamment des travailleurs déclassés ou peu qualifiés, tant il est certain que le capital humain sera plus que jamais le vecteur de la croissance au XXIe siècle.
La France ne doit pas rater l’occasion historique de rétablir le plein-emploi, qui constitue la clé de son redressement et le meilleur antidote au populisme.
(Chronique parue dans Le Figaro du 15 janvier 2017)