Qui l’eût cru ? Silvio Berlusconi apparaît comme le rempart du populisme de Beppe Grillo.
L’embellie européenne demeure sous la menace populiste. Après le Blitzkrieg conduit par Emmanuel Macron en France lors des élections présidentielle et législatives, après la victoire à la Pyrrhus d’Angela Merkel, qui, affaiblie par la percée de l’AfD, peine à constituer une coalition en Allemagne, la prochaine confrontation décisive prendra place en Italie. Les élections législatives qui se dérouleront entre février et avril 2018 s’organisent autour du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui conjugue la critique radicale du capitalisme et la volonté de sortir de la monnaie unique. Or l’Italie représente un risque systémique tant pour la zone euro, dont elle est la troisième économie, que pour les marchés financiers, du fait de sa dette publique de 2 280 milliards d’euros. Et l’arbitre inattendu de cette nouvelle confrontation entre réformisme et populisme n’est autre que Silvio Berlusconi.
Le scrutin italien s’inscrit dans un contexte plus favorable que prévu. Le gouvernement de Paolo Gentiloni, conçu à l’origine pour assurer un intérim, présente un bilan positif. La reprise économique s’affirme, avec une croissance de 1,5 % en 2017. Le chômage a été ramené à 11,2 %, contre 12,6 % en 2014. Le déficit public, qui s’élèvera à 2,1 % et 1,8 % du PIB en 2017 et 2018, est sous contrôle. Simultanément, la recapitalisation et la restructuration du système bancaire, qui croule sous 360 milliards d’euros de créances douteuses, ont été engagées. Surtout, l’afflux des migrants a été endigué, passant de 45 000 arrivées mensuelles en 2016 à moins de 15 000 par mois en 2017. Le financement d’une triple ligne de contrôle des mouvements de populations au nord du Sahel par les tribus, en Libye par les gardes-côtes, puis en Méditerranée par le déploiement de navires dotés d’hélicoptères et de drones, s’est révélé efficace à défaut d’être exemplaire du point de vue des droits de l’homme.
L’Italie bénéficie aussi de l’amélioration de la situation de l’Europe. D’un côté, la relance de la zone euro, qui affiche en 2017 une croissance supérieure à celle des Etats-Unis et du Royaume-Uni (2,3 %, contre 2,1 et 1,7 %), un taux de chômage réduit à 8,8 % de la population active, un déficit et une dette publics en baisse (1,1 % et 87 % du PIB). De l’autre, la dynamique politique favorable à l’intégration européenne et aux réformes créée par la victoire de Macron. A l’inverse, les expériences populistes accumulent les échecs, qu’il s’agisse de la calamiteuse gestion de Rome et de Milan par les affidés de Beppe Grillo, de la déconfiture du Brexit ou de la liquidation du leadership des États-Unis orchestrée par Donald Trump…
Pour autant, l’élection italienne n’est pas jouée. L’Italie cumule des maux structurels et les vecteurs du populisme. Le pays demeure miné par l’effondrement de sa démographie (fécondité de 1,3 enfant par femme), par la faiblesse de la productivité et de l’innovation, par les inégalités sociales et territoriales : la pénurie d’emplois dans certaines régions du Nord et dans le Mezzogiorno va de pair avec le chômage structurel des jeunes (respectivement 34 % et près de 40 %). La conjonction d’une dette publique de 133 % du PIB et des fragilités du système bancaire peut vite devenir explosive avec la hausse des taux d’intérêt. Enfin, l’État demeure d’une faiblesse insigne, otage des corporations quand il n’est pas corrompu par les mafias qui contrôlent environ 10 % du PIB. L’Italie réunit par ailleurs toutes les causes du populisme. La stagnation économique, avec un produit national qui reste inférieur de 6 % à son niveau de 2008. Le dessaisissement du capitalisme national au profit d’investisseurs internationaux, notamment français. La paupérisation de la population, dont le niveau de vie a reculé de 10 % en une décennie. La déstabilisation des classes moyennes et la révolte des citoyens devant la hausse des impôts, qui ne parvient pas à rétablir les finances publiques. La protestation identitaire face à la vague de migrants.
La victoire de Beppe Grillo serait une catastrophe pour l’Italie comme pour l’Europe. Pour l’éviter, les démocrates n’ont d’autre choix que miser sur le mode de scrutin, qui favorise les coalitions au détriment du Mouvement Cinq Etoiles, puisqu’il refuse toute alliance, et sur Silvio Berlusconi. Du fait de l’effondrement et de la division de la gauche autour de la personnalité controversée de Matteo Renzi et du référendum perdu sur la réforme des institutions, la seule alternative au populisme repose sur l’alliance de Forza Italia, le parti-entreprise de Berlusconi, qui l’a emporté de justesse en Sicile, et de la Ligue du Nord, qui vient de remporter deux référendums, en Lombardie et en Vénétie.
Machiavel rappelait qu’« en politique le choix est entre le pire et le moindre mal ». Le pire est aujourd’hui Beppe Grillo, qui se présente comme l’homme fort de l’avenir contre le système du passé. Le moindre mal est Berlusconi. Débarqué de sa fonction de président du Conseil par les marchés et ses partenaires européens en 2011, condamné et déclaré inéligible en 2013, attaqué par Vincent Bolloré et contraint de céder le Milan AC, il a de nouveau érigé Mediaset en clé de voûte du capitalisme italien. Président du Milan AC, il aimait à dire que « battre la Juve avec un penalty douteux est encore plus beau ». Pour assumer le fait que battre Beppe Grillo grâce à une alliance douteuse avec la Ligue du Nord de Matteo Salvini est encore plus beau, il porte aujourd’hui les espoirs des démocrates italiens et européens.
(Chronique parue dans Le Point du 07 décembre 2017)