Les États-Unis sont pour l’heure les grands perdants de cette crise qui accélère l’effondrement de leur leadership.
Deux semaines après le voyage de Donald Trump en Asie et une semaine après la réinscription de Pyongyang sur la liste des États terroristes, la Corée du Nord a procédé à un tir de missile balistique intercontinental. Le Hwasong-15 a atteint un apogée de 4475 km, ce qui correspond à une portée de 13.000 km, qui met l’ensemble du territoire des États-Unis à sa portée.
Venant après le sixième essai effectué le 3 septembre avec une bombe H, ce tir démontre que la Corée du Nord a réussi à devenir une puissance nucléaire et balistique, en dépit de l’opposition des États-Unis et de la multiplication des sanctions internationales. Elle dispose aujourd’hui de 13 à 20 têtes opérationnelles, même s’il subsiste des incertitudes sur leur miniaturisation et leur résistance à la rentrée dans l’atmosphère. Cette capacité nucléaire est renforcée par la constitution d’une force de frappe cybernétique forte de quelque 6000 hackers, dont la mission consiste à protéger les infrastructures militaires, attaquer les institutions occidentales et rapporter des devises via leurs activités criminelles sur la Toile.
La stratégie nord-coréenne est parfaitement cohérente. Elle entend assurer en toutes circonstances la survie du régime totalitaire et dynastique de Pyongyang en interdisant les frappes préemptives qui viseraient à le décapiter. Elle tire ainsi toutes les leçons de la chute des dictatures irakienne et libyenne comme de l’intervention russe en Ukraine, qui ont été permises par le renoncement à l’arme nucléaire. Pour la Corée du Nord, la dénucléarisation n’est donc pas une option. Son objectif n’est plus d’échanger un ralentissement de son programme contre une aide financière ou alimentaire ; il consiste à être reconnue comme une puissance nucléaire à part entière.
La course à l’atome de Pyongyang n’est pas sans bousculer Pékin, qui a perdu le contrôle de son allié et se trouve préoccupé par les risques encourus par les quelque 100 millions de Chinois qui vivent à proximité des sites nucléaires coréens. Pour autant, l’alliance stratégique n’est pas remise en question. La Chine refuse tout changement de régime à Pyongyang, qui constitue pour elle un glacis face à la Corée du Sud et aux forces américaines qui y sont stationnées. La crise coréenne détourne opportunément l’attention de la poursuite de l’annexion de la mer de Chine. Enfin, l’impuissance des États-Unis et leur ciblage par la Corée du Nord déstabilisent leur garantie de sécurité et l’élargissement de leur dissuasion aux alliés du Pacifique. Pour toutes ces raisons, la Chine a fait savoir que toute frappe sur la Corée du Nord serait considérée comme une attaque sur son propre territoire.
Les États-Unis sont pour l’heure les grands perdants de cette crise qui accélère l’effondrement de leur leadership. Sous l’escalade verbale de Donald Trump qui multiplie les insultes contre Kim Jung-un après lui avoir promis en août dernier un déluge de « feu et de fureur tel que le monde n’en a jamais vu » pointent le manque d’options et l’absence de stratégie. L’efficacité des sanctions économiques dépend de la Chine, qui assure 80 % des échanges extérieurs de la Corée du Nord, et accessoirement de la Russie, qui refuse tout effondrement du régime de Pyongyang. Les frappes militaires préemptives sont exclues en raison de la dispersion et de la protection des sites nucléaires coréens, des représailles potentielles sur la Corée du Sud et le Japon, enfin de la réassurance stratégique donnée par la Chine à la Corée du Nord. Seule reste ouverte la voie technologique, qui mise sur la combinaison de la cyberguerre contre les infrastructures et les missiles, les drones et les missiles intercepteurs pour contrer la menace – sans pour autant l’annihiler.
La crise coréenne accélère l’émergence d’une nouvelle donne internationale. Elle confirme le basculement du centre de gravité du monde vers l’Asie-Pacifique, où les risques de confrontation armée sont en nette hausse – et ce d’autant que les conflits territoriaux et mémoriels de la Seconde Guerre mondiale n’ont jamais été soldés. Le risque de guerre entre la Corée du Nord et les États-Unis résultant d’une erreur d’appréciation ne peut être totalement exclu en raison de l’enfermement du régime de Pyongyang auquel répondent l’imprévisibilité de Donald Trump et le chaos qui règne à Washington. La dissuasion élargie des États-Unis se trouve décrédibilisée. Simultanément, la diplomatie américaine se trouve désorganisée par les démissions en chaîne et par les coupes sombres de 31 % de son budget, réduit à 37,6 milliards de dollars quand celui de la défense culmine à 696 milliards. Tout ceci ne peut déboucher que sur une relance massive de la course aux armements, notamment dans les domaines nucléaire, spatial et cybernétique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 décembre 2017)