Après le départ de Robert Mugabe, le Zimbabwe vit une nouvelle indépendance. Une situation exemplaire des atouts et des risques du continent.
Le 18 avril 1980, Robert Mugabe défilait à Harare sous les vivats et devenait le père de l’indépendance du Zimbabwe. La Rhodésie de Ian Smith lui laissait en héritage le grenier à céréales de l’Afrique australe, d’excellentes infrastructures et une administration efficace – même si elle avait été détournée au profit des principes pervers de l’apartheid.
Le 21 novembre, trente-sept ans plus tard, le même Robert Mugabe, placé en résidence surveillée, s’est vu contraint à la démission sous la pression conjointe de l’armée et de la rue. Son propre parti, la Zanu-PF, s’est retourné contre lui. La chute de Robert Mugabe, comme celle de Zine Ben Ali ou de Hosni Moubarak, a été précipitée par sa femme, Grace, dont les excès ont mis en lumière la kleptocratie qui régnait à la tête de l’Etat. Mais le Zimbabwe n’a pas connu une révolte populaire, à la l’image des printemps arabes, mais une révolution de palais, conduite par le premier vice-président, Emmerson Mnanga-gwa, et le chef d’état-major des armées, le général Chiwenga, avec l’accord tacite des pays voisins, Afrique du Sud en tête.
Au terme de la dérive gérontocratique et autocratique de Robert Mugabe, le Zimbabwe est détruit. La Zanu-PF a progressivement installé un régime de parti unique et de terreur. Son échec au premier tour de l’élection présidentielle de 2008 s’est traduit par une répression sanglante de l’opposition. Les élections de 2013 ont été marquées par des fraudes massives et des achats de voix systématiques, qui ont mobilisé 1,84 milliard de dollars. Toute trace d’Etat de droit ou de liberté d’expression a disparu.
Le Zimbabwe partage avec le Venezuela d’être un pays riche dont la population a été non seulement ruinée mais sacrifiée par ses dirigeants. L’expulsion des fermiers blancs en 2000, érigés en boucs émissaires des échecs de Mugabe, a donné le signal de la mise à sac de l’économie et de la décomposition de la société.
Les 16 millions de Zimbabwéens, dont 38 % ont moins de 14 ans, ont vu leur espérance de vie réduite à moins de 60 ans. Leur taux de pauvreté – soit un revenu ne dépassant pas 1,90 dollar par jour – culmine à 72 %. Le pays occupe la 155e place sur 188 dans le classement de l’Onu du développement humain. Le revenu national plafonne à 16 milliards de dollars, soit 150 fois moins que celui de la France. Le taux de chômage atteint le niveau extravagant de 90 % de la population active. L’inflation a touché un record de 24 000 % en 2008, ce qui a provoqué l’effondrement puis la disparition de la monnaie nationale. Son remplacement par le dollar américain et le rand sud-africain provoque une pénurie endémique de devises. Le peu d’activité qui survit relève de l’économie informelle et du troc.
Sur le plan financier, le Zimbabwe est en situation de défaut. La dette extérieure s’élève à 95 % du PIB et les arriérés de paiement de la dette publique dépassent 6 milliards de dollars, soit près de 40 % du PIB. Tout comme le Venezuela, le Zimbabwe dépend entièrement du soutien financier de la Chine, qui investit 500 millions de dollars par an pour accaparer ses richesses.
Le Zimbabwe n’est donc pas confronté à une succession mais à une nouvelle indépendance. Les défis qui se présentent devant le nouveau président, Emmerson Mnangagwa, sont immenses. Relancer et ouvrir l’économie, ce qui passe par le soutien des institutions multilatérales, FMI, Banque mondiale et Banque africaine de développement. S’émanciper du néocolonialisme chinois. Pacifier la société et favoriser le retour de la population blanche. Démanteler l’appareil de répression et rétablir la liberté d’expression. Organiser des élections crédibles, sinon parfaitement libres, à l’été de 2018.
Face à ces défis, le pays dispose d’atouts majeurs : de vastes ressources naturelles (platine, or, diamant, nickel…) ; un formidable potentiel agricole (blé, maïs, tabac, coton…) ; une population alphabétisée à hauteur de 84 % ; une diaspora nombreuse au dynamisme et à la réussite éclatants.
Tout dépendra ultimement d’Emmerson Mnangagwa – dit le « Crocodile » –, dont la situation est plus que singulière. Depuis 1980 et jusqu’à ces derniers temps, il a en effet été le bras droit et l’homme des basses œuvres de Robert Mugabe à la direction des services de sécurité. Son arrivée au pouvoir peut-elle marquer le renouveau alors même qu’elle est tout sauf une alternance ? Le Zimbabwe ne peut en tout cas s’offrir le luxe de rater une nouvelle fois son indépendance.
La descente aux enfers du Zimbabwe est exemplaire des chances et des risques de l’Afrique, qui sera au cœur du XXIe siècle du fait de l’accroissement de plus de 2 milliards d’hommes de sa population. Son avenir est en balance entre émergence ou basculement dans le chaos et la violence, ce qui retentirait directement sur l’Europe. Il dépendra largement de sa capacité à conjurer la tentation des autocrates, dont les ravages sont pires encore que ceux de la malédiction des matières premières. Cette leçon mérite d’être entendue par les démocraties occidentales et leurs citoyens, à l’heure où les démagogues réaniment le mythe des hommes forts pour déstabiliser les institutions de l’État de droit.
(Chronique parue dans Le Point du 30 novembre 2017)