Donald Trump accélère formidablement le déclin des États-Unis et enterre leur leadership.
Les États-Unis ont dominé l’histoire du XXe siècle en reprenant au Royaume-Uni le leadership de l’Occident. Ils ont sauvegardé la liberté politique face aux empires et aux idéologies, contribuant de manière décisive à la victoire des démocraties en 1918, en 1945 puis en 1989. À partir de 1945, ils ont garanti la sécurité de l’Europe de l’Ouest et réassuré la stabilité du capitalisme avant d’en piloter l’universalisation. Ils se sont ainsi affirmés comme la nation indispensable.
Sous l’illusion de l’hyperpuissance créée par la fin du soviétisme s’est engagé un lent recul, lié à l’émergence des géants du Sud portée par la mondialisation qui a créé un système multipolaire. Les guerres enlisées et perdues d’Afghanistan et d’Irak ont sapé le leadership stratégique des États-Unis. Le krach de 2008 a délégitimé leur régulation du capitalisme. Pour autant, l’Amérique restait centrale en raison de son influence intellectuelle, de l’attractivité de son modèle, de sa suprématie militaire, de son avance technologique, qui en faisaient la tête de file incontestée des nations libres.
Donald Trump accélère formidablement le déclin des États-Unis et enterre leur leadership. À l’intérieur, il exacerbe la polarisation de la société et réactive les clivages raciaux ; son populisme déchaîné pervertit les mécanismes de la démocratie et met rudement à l’épreuve l’état de droit et la mécanique des contre-pouvoirs. À l’extérieur, il a entrepris le démantèlement systématique des instruments de la puissance américaine au nom du protectionnisme et d’un nationalisme à courte vue. Son imprévisibilité et sa diplomatie du chaos ont transformé les États-Unis en facteur d’incertitude qui accroît les risques globaux. Pourtant, à l’inverse des années 1930, le tournant unilatéraliste et protectionniste américain peine à faire école. L’onde de choc populiste déclenchée par Donald Trump demeure très dangereuse pour la démocratie. Mais l’Amérique est de plus en plus isolée.
Le commerce international, loin d’être bloqué par le protectionnisme américain, redécolle en 2017 avec une progression de 3,8 %. L’accord asiatique de libre-échange promu par la Chine prospère. L’Union européenne a conclu un accord structurant avec le Canada (Ceta) et négocie avec le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mercosur et le Mexique, définissant les nouvelles normes du XXIe siècle, y compris la protection des appellations d’origine et des données personnelles. À l’inverse, aucune nation n’a engagé de négociations bilatérales avec les États-Unis. En bref, la preuve est en passe d’être apportée que seul le multilatéralisme est efficace en matière commerciale.
Dans le domaine économique et financier, l’unilatéralisme de Donald Trump a pour premier effet la réintégration des entreprises technologiques américaines dans l’État de droit et la fiscalité, notamment en Europe. Simultanément, les États-Unis ne sont pas suivis dans la dérégulation de la finance, dix ans après le pire choc depuis 1929 et alors que les marchés d’action culminent à des niveaux plus élevés encore que ceux de la bulle technologique de 2000. La sortie de l’accord de Paris sur le climat se traduit également par la solitude des États-Unis et leur mise à l’écart des négociations. Le déni du réchauffement et le plaidoyer absurde en faveur des énergies fossiles et du « charbon propre », alors que les émissions de carbone augmentent de 2 % en 2017, laissent le champ libre à la Chine, qui accélère sa révolution énergétique avec pour objectif 60 % d’électricité décarbonée en 2040, mais aussi à l’Europe et au Canada.
Enfin, le général de Gaulle avait rêvé en vain d’une Europe européenne ; Donald Trump l’a faite. La déstabilisation de la garantie de sécurité américaine et de l’Otan, amplifiée par le Brexit, au moment où les menaces émanant du djihadisme, de la Russie, du chaos au Moyen-Orient et au Sahel se renforcent, a provoqué un électrochoc. Les Européens commencent à prendre leur destin et leur sécurité en main : ainsi vingt-trois États – dont la Finlande, la Suède et l’Autriche qui ne sont pas membres de l’Otan – se sont engagés dans une coopération permanente pour leur défense. Avec pour objectif de construire leur autonomie stratégique, en matière d’équipements et de soutien, mais aussi de doctrine, de commandement et de forces d’intervention.
La mondialisation, qui s’était émancipée des États-Unis, est en passe de se poursuivre sans eux. Loin de restaurer leur leadership, Donald Trump a banalisé les États-Unis et ruiné leur rêve. Son bilan se résume à « China first » et « America out ». Le monde découvre ainsi qu’il peut se passer de l’Amérique. Pour la démocratie, c’est beaucoup plus incertain. Voilà pourquoi il est vital pour la survie de la liberté que l’Union européenne se dote rapidement des moyens d’assurer en toutes circonstances sa sécurité et sa souveraineté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 novembre 2017)