La France universitaire est à la traîne. Il est urgent d’engager de profondes réformes.
L’importance de l’enseignement supérieur n’a jamais été aussi décisive. Son rôle est fondamental pour la compétitivité et pour l’emploi, mais aussi pour l’accompagnement de la révolution numérique et pour l’intégration sociale. Les universités s’affirment comme le socle des pôles d’innovation, dont le modèle a été forgé par la Silicon Valley. D’où une concurrence croissante entre les nations pour attirer les institutions d’excellence, les professeurs et les étudiants les plus talentueux, concurrence dans laquelle les pays émergents, tels la Chine, l’Inde ou le Qatar, rivalisent de plus en plus avec les pays développés.
Dans cette compétition, la France n’a cessé de perdre du terrain. Le classement de Shanghai ne recense que 3 universités françaises dans les 100 premières mondiales, contre 48 pour les Etats-Unis, 9 pour le Royaume-Uni, 6 pour l’Australie, 5 pour la Suisse, 4 pour l’Allemagne et les Pays-Bas. Et ce alors même que la croissance de la francophonie, qui comptera 770 millions de personnes en 2060, et l’impact du Brexit, qui a entraîné une chute de 10 % des inscriptions d’étudiants européens au Royaume-Uni, ouvrent des perspectives très favorables.
La chute de notre université, en dépit de certains pôles d’excellence qui demeurent au meilleur niveau mondial, s’explique par son incapacité à s’adapter à la massification de l’enseignement supérieur. Le nombre d’étudiants, qui était de 300 000 en 1960, s’élève à 2,5 millions aujourd’hui et atteindra 3,3 millions en 2027. L’envolée des effectifs s’est effectuée au prix d’un double désastre académique – marqué par l’effondrement du niveau et de la valeur des diplômes – et humain : sur les 80 % de bacheliers, seuls 35 % obtiennent une licence, contre 75 % au Royaume-Uni, au Danemark ou en Autriche. De fait, les 82 universités restent balkanisées et soumises à un pilotage centralisé qui réduit leur autonomie à une fiction. Par ailleurs, le budget de 23,8 milliards d’euros en 2017 ne représente que 1,1 % du PIB (contre 1,5 à 2 % du PIB dans les grands pays développés) et se trouve cannibalisé par celui de l’enseignement scolaire, qui mobilise 70 milliards d’euros.
L’origine profonde de la débâcle universitaire de la France reste idéologique. Max Weber rappelait à juste titre que « la politique n’a pas sa place dans la salle de cours d’une université ». Or la politique a trop souvent envahi l’université en en chassant la connaissance et le mérite, qu’il s’agisse des enseignants ou des étudiants. La sélection est devenue le symbole du mensonge institutionnalisé. Officiellement, elle est bannie ; pratiquement, elle est omniprésente. D’abord et surtout par l’échec des deux tiers des étudiants qui sortent sans aucun diplôme. Ensuite par sa présence massive en master. Enfin, par la survalorisation des filières sélectives (grandes écoles, Insa, STS et IUT d’une part, droit et médecine d’autre part). Le comble de l’absurdité a été atteint par la procédure APB et le recours au tirage au sort, qui ont abouti cette année à laisser 65 000 bacheliers sans affectation et à écarter des mentions très bien des filières d’excellence !
L’université, plus encore que les autres domaines de l’action publique, doit être profondément réformée. La logique ne peut en aucun cas être malthusienne ; elle doit concilier l’objectif de porter 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence avec la réévaluation de la valeur des diplômes ainsi que le soutien des institutions et des filières d’excellence. Le projet du gouvernement constitue un premier pas utile avec l’instauration d’une sélection par les notes en fonction des filières, le recours à l’avis du conseil de classe, l’orientation des élèves les plus faibles vers des cours de soutien. Et ce même si la perversion démagogique du langage est maintenue, qui écarte la sélection au profit du « recrutement »et les connaissances requises au profit des « attendus », si le dernier mot reste théoriquement à l’étudiant, si des contingents de boursiers contrebalancent des quotas liés au mérite – alors que l’attribution des bourses devrait s’effectuer sur la base du mérite.
Ces mesures ne suffiront cependant pas à rattraper le retard accumulé par notre enseignement supérieur. Un changement de modèle est requis, qui peut s’inspirer de l’effort engagé par l’Allemagne, où la massification va de pair avec un fort taux de réussite, avec la priorité donnée aux formations d’ingénieurs (20 % des diplômés, contre moins de 15 % en France) et avec la concentration de plus de 2 milliards d’euros de crédits sur 9 universités d’excellence aux ambitions mondiales.
L’université française, tout comme notre système productif, relève d’une politique de l’offre. Elle a été fondée avec la Sorbonne au XIIIe siècle sur l’idée d’autonomie par rapport à l’Eglise et à l’Etat. Il faut aujourd’hui lui restituer cette autonomie, qu’il s’agisse de définition du projet pédagogique, de choix des formations, de recrutement des professeurs et des étudiants ou de fixation des droits d’inscription. L’État doit pour sa part accompagner ce mouvement en concentrant ses crédits sur l’enseignement supérieur et la recherche au lieu de les disperser en aides sociales dans un but clientéliste, tout en affectant des moyens spécifiques aux institutions d’excellence. À l’âge de l’histoire universelle et dans l’économie de la connaissance, le rang d’une nation se reconnaît aussi à la qualité de son enseignement supérieur. Au travail !
(Chronique parue dans Le Point du 16 novembre 2017)