Après vingt ans de chute libre, 2017 marque un sursaut pour la France. Jusqu’à quand ?
À l’âge du capitalisme universel, l’industrie est moins que jamais une relique du passé. Elle continue à jouer un rôle prédominant dans la recherche, l’exportation, l’emploi à haute valeur ajoutée et les gains de productivité qui permettent de concilier compétitivité et solidarité. Elle s’est révélée décisive dans le décollage de la Chine, la réinvention de l’économie sociale de marché allemande ou le redressement des États-Unis après le krach de 2008. Elle occupe une place centrale dans les nations les plus performantes, des pays scandinaves à Singapour, en passant par la Suisse, le Japon ou la Corée du Sud.
De façon symétrique, l’effondrement de l’industrie fut l’un des plus puissants moteurs du déclin économique et social de la France. À la mi-2017, la production industrielle reste à son niveau de 1996, alors que la consommation de biens manufacturés a progressé de 60 %. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée a chuté à 11 % contre 16 % dans la zone euro et 22 % en Allemagne. La désindustrialisation a détruit 2,5 millions d’emplois en un quart de siècle, dont 700 000 au cours de la dernière décennie. Le succès des filières de l’aéronautique, de l’armement ou du luxe ne masque plus la multiplication des faillites et des rachats d’ex-fleurons nationaux par des groupes étrangers, tels Pechiney par Alcan, Arcelor par Mittal, Alstom-Energie par General Electric, Alcatel-Lucent par Nokia ou Lafarge par Holcim.
Après deux décennies de descente en vrille, 2017 pourrait cependant marquer un tournant. La production manufacturière s’affiche en hausse de 2,5 % sur un an. Le taux d’utilisation des capacités se redresse à 84,5 %. L’investissement progressera de 5 % en 2017, comme en 2016. Les faillites reculent. Enfin et surtout, la course aux suppressions d’emplois est enrayée et l’industrie crée de nouveau des postes de travail si on intègre l’intérim.
L’embellie résulte moins de la politique économique que de la configuration très favorable née de la baisse conjuguée du prix du pétrole, de l’euro et des taux d’intérêt à partir de 2015. À défaut du CICE, dont le ciblage des bas salaires a limité les bénéfices pour l’industrie, le suramortissement des investissements et la réduction des délais de paiement ont contribué à ce début de retournement. Cependant, l’industrie française n’est que convalescente et non pas sauvée. La production reste inférieure de 10 % à son niveau de 2007, alors qu’elle est supérieure de 8 % en Allemagne. Le déficit commercial atteint 41 milliards sur sept mois, les pertes de parts de marché se poursuivent en Europe comme dans le monde en raison de l’insuffisance des entreprises exportatrices, dont le nombre est réduit à 125 000 contre 300 000 en Allemagne, 210 000 en Italie et 145 000 en Espagne. Une part notable de l’appareil de production est obsolète du fait du long blocage de l’investissement, comme le souligne le retard accumulé en matière de robotisation (0,8 robot pour 1 000 emplois contre 2,05 en Suède et 2,53 en Allemagne).
L’embellie ne doit donc pas inciter au relâchement, mais à la mobilisation autour d’un pacte national de réindustrialisation visant à améliorer tous les facteurs de production tout en tirant pleinement parti de l’amélioration de l’image de la France auprès des investisseurs. Pour ce qui est du travail, la dérive des coûts horaires (37,10 euros contre 35,50 en Allemagne, 27,60 en Italie et 21,20 en Espagne) sera enrayée par la transformation du marché engagée par les ordonnances. Entreprises et salariés auront la responsabilité d’utiliser pleinement les marges de manœuvre ouvertes, tandis que la réforme de la formation professionnelle devra mettre l’accent sur le numérique afin de préparer les salariés à la révolution technologique.
Il reste impératif de normaliser la fiscalité confiscatoire qui pèse sur la production et sur l’épargne. Les impôts et charges acquittés par les entreprises représentent 18 % du PIB en France contre 14,5 % en Italie, 12 % en Espagne et 9 % en Allemagne. La fiscalité sur le capital atteint 10 % du PIB, privant nos entreprises d’une base actionnariale nationale. La diminution programmée de l’impôt sur les sociétés ou la mise en place d’un prélèvement forfaitaire de 30 % sur les revenus de l’épargne vont dans le bon sens, mais ne produiront leurs effets que lentement.
Le rôle de l’énergie dans la compétitivité de l’industrie demeure sous-estimé. La France doit donc remettre à plat sa stratégie énergétique et valoriser pleinement son parc nucléaire.
Enfin, l’innovation est décisive. Elle passe par les infrastructures numériques, par l’organisation des filières et surtout par la mobilisation des talents. Le succès de la French tech nous rappelle que notre pays dispose de la plus précieuse des ressources, des entrepreneurs et des ingénieurs de très grande qualité. Permettons-leur de donner la pleine mesure de leur talent en France, au lieu de les contraindre à se mettre au service de nos concurrents.
(Chronique parue dans Le Point du 28 septembre 2017)