Le sort de cette minorité birmanane exacerbe des tensions internationales au cœur de l’Asie et d’un monde inflammables.
La minorité rohingya, de confession musulmane sunnite, vit principalement dans l’Arakan, sur la côte occidentale de la Birmanie rebaptisée Myanmar, dont la population est à 90 % bouddhiste. Ils seraient les descendants de commerçants bengalis convertis à l’islam vers le XVe siècle. Minorité reconnue par la Constitution de 1947 inspirée par Aun San, le père de l’indépendance, les Rohingyas ont été les premières victimes de la birmanisation poursuivie à partir du coup d’État de 1962 par la junte. Après les avoir privés de leurs droits économiques et sociaux, elle leur retira leur nationalité birmane en 1982, les réduisant au statut d’apatrides. Simultanément fut mise en place une politique d’apartheid cumulant restriction de circulation, ghettoïsation, confiscation des terres, travail forcé, encadrement du mariage et de la procréation, refus d’accès à l’éducation et à la santé.
Les tensions n’ont cessé de s’aggraver à partir de la dissolution de la junte en 2011, sous la pression des bouddhistes fanatiques galvanisés par le moine Wirathu qui prêche sur les réseaux sociaux en faveur de l’élimination physique des Rohingyas. La multiplication des violences provoqua une première vague de départ de dizaines de milliers de Rohingyas vers le Bangladesh et l’Inde, la Malaisie et l’Indonésie. En réaction aux pogroms se forma une Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (Arsa) qui lança des attaques contre des postes-frontières en 2016 puis le 25 août 2017, provoquant en retour un véritable génocide.
L’armée birmane ne cible pas les combattants de l’Arsa mais la population civile qui n’a d’autre choix que l’exil ou la mort. Sur les 800 000 Rohyngyas que compte l’Arakan, 420 000 ont fui au Bangladesh. Parmi les réfugiés, près de 250 000 sont des enfants dont les parents ont été exécutés. Plus de 220 villages ont été détruits afin de rendre tout retour impossible. C’est à bon droit que l’ONU dénonce un cas d’école de purification ethnique.
Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix 1991 et garante de la transition démocratique de la Birmanie, a failli. Alors qu’elle avait promis à la tribune de l’ONU de défendre les droits des Rohingyas, elle s’est murée dans le silence avant de dénoncer un « énorme iceberg de désinformation ». Sa prise de parole tardive, le 19 septembre, est restée très ambiguë, visant à apaiser la communauté internationale à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU. La condamnation des violations des droits de l’homme et l’annonce d’un droit de retour des Rohingyas après vérification de leur identité alors même qu’ils sont proclamés apatrides restent virtuelles. Elle n’a jamais mis en cause l’épuration ethnique poursuivie par le général Aung Hlaing dont elle apparaît l’otage.
Aung San Suu Kyi, en couvrant de son autorité morale un génocide, noue une alliance mortifère avec les nationalistes birmans et les fanatiques bouddhistes. Elle compromet la transition de la Birmanie vers la démocratie, qui suppose l’établissement du suffrage universel mais aussi le respect de l’État de droit.
La tragédie des Rohingyas est grosse de tensions internationales au cœur de l’Asie et d’un monde inflammables. Elle déstabilise le Bangladesh, pauvre et surpeuplé, qui ne dispose pas de la capacité d’accueillir et de nourrir un million d’exilés. Elle participe de l’envol du nombre des réfugiés (65 millions) et des apatrides (10 millions), indissociable de l’esclavage et du travail forcé qui touche plus de 150 millions d’enfants. Elle offre, avec les orphelins des camps, un terreau idéal pour le djihadisme au moment où l’État islamique s’implante en Asie. Il est urgent de contenir la propagation et la radicalisation de la violence, en tenant compte de deux contraintes : la Chine opposera son veto au Conseil de sécurité de l’ONU à tout projet de réactivation des sanctions ou d’envoi de Casques bleus ; les pressions légitimes sur Aung San Suu Kyi doivent éviter de la couper de la population birmane manipulée par des décennies de propagande nationaliste et de fanatisme bouddhiste.
États-Unis et Europe devraient s’accorder sur le plan suivant : suspension de toute aide, vente d’armes et coopération avec l’armée birmane ; adoption de sanctions ciblées visant les chefs militaires ainsi que les organisations et les dirigeants bouddhistes extrémistes ; droit d’accès, de déplacement et de travail pour les médias et les ONG dans l’Arakan ; mobilisation d’une aide massive au Bangladesh pour l’accueil et le soutien des réfugiés dont les camps situés dans la région de Cox Bazar sont menacés d’inondation. Le XXe siècle fut celui des grandes guerres conduites au nom des idéologies. Ne laissons pas le XXIe siècle devenir celui des génocides conduits au nom des guerres de religion.
(Chronique parue dans Le Figaro du 25 septembre 2017)