La France a les atouts pour devenir le pays licorne de l’Europe numérique. À condition qu’elle s’en donne les moyens !
Les ordonnances réformant le Code du travail engagent la modernisation du modèle français qui, depuis des décennies, condamne notre pays à la décroissance, au chômage de masse, à la paupérisation et au déclassement de ses citoyens, au double déficit du commerce extérieur et des finances publiques. La levée des obstacles qui brident la création d’activités et d’emplois a pour pendant la relance de l’innovation afin d’améliorer la productivité, dont les gains stagnent autour de 0,5 % par an.
L’innovation fait la richesse des entreprises et des nations. En témoignent la sortie de crise de l’économie américaine après le krach de 2008, tirée par l’économie numérique et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, la montée en gamme de la Chine, qui est devenue le premier déposant mondial de brevets, ou l’investissement massif des pays scandinaves dans l’économie de la connaissance, qui représente 7 % du PIB en Suède comme aux États-Unis, afin de concilier compétitivité et haut niveau de solidarité.
La France doit combler le retard qu’elle a accumulé et qui se traduit par une R&D privée limitée à 1,4 % du PIB, contre plus de 2 % en Allemagne, et une 11e place dans les écosystèmes d’innovation, loin derrière Londres et Berlin. Elle doit capitaliser sur l’émergence de la French Tech et tirer pleinement parti de l’amélioration de son image auprès des entrepreneurs et des investisseurs, contrastant avec la dégradation de l’attractivité du Royaume-Uni et des États-Unis en raison du Brexit et de la désastreuse présidence de Donald Trump.
L’essor de la French Tech est adossé à un réel dynamisme entrepreneurial, ancré dans le foisonnement de près de 10 000 start-up et la multiplication des incubateurs, à l’image de la Station F promue par Xavier Niel. Son financement progresse vivement, mobilisant quelque 2,75 milliards, ce qui place notre pays en 2e position en Europe pour les levées de fonds, rivalisant avec Londres. Simultanément, treize métropoles françaises ont lancé des stratégies ambitieuses de soutien à l’innovation.
Le renouveau entrepreneurial français demeure cependant fragile. La rentabilité du capital innovation est très insuffisante, limitée à 2,2 % pour les fonds en cours et négative à hauteur de 1,6 % pour les fonds clos. Les start-up se multiplient en France, mais les rares licornes authentiques – Criteo, Talend et DBV – sont toutes cotées aux États-Unis.
En dépit de multiples initiatives, la France ne dispose pas d’un écosystème cohérent et complet pour développer l’innovation. Les business angels et les fonds sont trop peu nombreux, de taille réduite et faiblement internationalisés. Le financement du secteur est biaisé par les interventions publiques, qui en assurent les deux tiers à travers BPI France et les fonds fiscaux (FCPI et FIP). La sortie des investisseurs est rendue très difficile par l’anémie de la place financière de Paris et la délocalisation massive des entrepreneurs à succès à l’étranger. Les universités et le CNRS sont quasi absents du financement de l’innovation.
L’innovation n’est nullement une cause perdue. Elle doit servir de laboratoire pour le redressement de la France. Une stratégie globale d’innovation est indispensable, qui passe par l’attraction des talents, par l’association étroite de la communauté scientifique, par la rationalisation et la concentration des aides publiques, par l’incitation à investir en actions – notamment par le changement des règles prudentielles de l’assurance-vie –, par la revitalisation de la place financière de Paris.
Le rôle de l’État est déterminant, mais il gagnerait à porter moins sur le financement des start-up – au risque d’encourager les bulles spéculatives – que sur l’éducation (900 000 emplois demeurent non pourvus en l’absence de diplômés disposant des compétences requises), sur les infrastructures numériques et sur la constitution d’une régulation européenne efficace de l’économie digitale. Enfin, il est plus que jamais urgent de normaliser le cadre réglementaire et fiscal, dont la responsabilité est première dans le déficit de compétitivité et d’attractivité de la France. La seule taxation confiscatoire de l’épargne, qui bloque le financement en fonds propres des entreprises, a fait perdre 2 points de croissance au cours de la dernière décennie.
La France, pour avoir ignoré les révolutions qui se sont succédé depuis la fin des Trente Glorieuses et manqué le train de la reprise des pays développés après le krach de 2008, joue son avenir avec la transformation digitale et le redémarrage de l’activité dans la zone euro. Elle conserve des atouts décisifs, au premier rang desquels figure une nouvelle génération d’entrepreneurs de grand talent. Elle doit leur donner toutes leurs chances en cessant de prétendre les enrégimenter au service des politiques arrêtées par l’Etat, pour mettre à l’inverse les pouvoirs publics au service de leur capacité à créer des richesses et des emplois. Transformons la France d’homme malade de l’Europe en nation licorne !
(Chronique parue dans Le Point du 11 septembre 2017)