La stabilisation de l’économie mondiale elle appelle à la vigilance pour renforcer la capacité à prévenir et gérer les chocs.
Dix ans après le pire krach du capitalisme depuis 1929, l’économie mondiale connaît une embellie. La croissance retrouve un rythme de 3,5 % et les échanges mondiaux accélèrent, en hausse de 4,6 %. Tous les grands pôles progressent : la Chine maintient une croissance intensive de 6,9 % qui n’est dépassée que par l’Inde (7,1%) ; l’activité augmente de 2,2 % aux États-Unis ; le Japon (1%) et la zone euro (2,2%) semblent enfin se libérer de la déflation ; le Brésil et la Russie sortent de récession ; l’Afrique poursuit son décollage. L’emploi bénéficie directement de la reprise, avec un taux de chômage ramené à 5,9 % de la population active. Au total, la mondialisation paraît avoir surmonté le terrible choc qui a manqué la détruire en 2008.
L’amélioration de la conjoncture demeure cependant très fragile. Elle masque la montée des risques et le changement de leur nature. Un nouveau cycle économique s’ouvre, marqué par la résurgence de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, qui pourrait entraîner de fortes secousses compte tenu du stock de dettes qui dépasse 200 000 milliards de dollars, soit trois années de produit mondial. Les tensions monétaires s’exacerbent, illustrées par la chute du dollar et l’envol de l’euro, qui s’est apprécié de 15 % depuis le début de l’année. Elles nourrissent le renouveau du protectionnisme qui fragmente l’espace économique, limite la croissance potentielle et alimente les guerres commerciales.
Le dérèglement climatique a une responsabilité au moins indirecte dans la multiplication des événements extrêmes dont la fréquence et la violence vont croissant. Les pertes humaines et les dommages des catastrophes naturelles – séismes, ouragans, sécheresses, inondations – s’envolent. Leurs coûts ont atteint 175 milliards d’euros en 2016 et devraient être très supérieurs en 2017 du fait des cyclones Harvey et Irma, dont les dégâts n’ont pas encore été évalués.
Le premier facteur de risques reste toutefois géopolitique. La crise nord-coréenne crée une menace d’escalade nucléaire qu’une erreur de jugement peut à tout moment faire dégénérer. Elle exacerbe les tensions entre Chine et États-Unis, mais aussi entre Japon et Corée du Sud, ouvrant la possibilité d’un conflit majeur en Asie-Pacifique. Le chaos perdure au Moyen-Orient, entretenu par la rivalité entre Iran, Turquie et Arabie saoudite. Le djihad, sur la défensive au Levant, se mondialise et se transforme en réseau social au cœur des pays développés. Les démocratures russe et turque intensifient leur pression sur l’Europe. La montée de la violence ne cesse de grossir le flot de 66 millions de réfugiés qui fuient conflits et oppression.
Autre changement inquiétant, plus les risques augmentent, plus la capacité à les gérer diminue. Les institutions et les règles qui avaient été mises en place après la Seconde Guerre mondiale pour stabiliser le capitalisme et jeter les fondements d’un ordre mondial – au demeurant précaire – sont déstabilisées par la vague populiste qui touche les démocraties, États-Unis et Royaume-Uni en tête. Les contre-pouvoirs sont affaiblis et contestés au sein des nations libres, de Washington à Varsovie. Le nationalisme, le protectionnisme et la xénophobie encouragent la remise en cause des alliances, des traités de libre-échange, de l’accord de Paris sur le climat et des institutions multilatérales. La démagogie promeut le démantèlement des régulations financières mises en place après le krach de 2008 pour tenter de maîtriser l’emballement de la spéculation, ce qui a conduit Stanley Fisher à démissionner de la FED. La coopération internationale qui avait été instaurée au sein du G20 est en pleine déliquescence.
La responsabilité des États-Unis dans la montée du désordre mondial est aussi directe que dans le déclenchement de la crise financière de 2008. Irresponsabilité et absence de stratégie de Donald Trump exportent l’instabilité partout dans le monde et constituent une formidable chance offerte aux États et aux organisations terroristes ou criminelles qui ont intérêt au chaos et qui poursuivent la désoccidentalisation du monde.
La stabilisation de l’économie mondiale ne doit pas inciter à l’euphorie ; elle appelle à la vigilance pour renforcer la capacité à prévenir et gérer les chocs. L’effort doit être engagé à tout niveau. Renforcement des institutions de l’État de droit. Réinvestissement massif dans la sécurité, qui est la condition première du développement et de la liberté. Relance du multilatéralisme, qui constitue la meilleure manière de mobiliser les pays émergents au service de la stabilité du monde. Ce moment de grand péril constitue aussi une chance historique pour l’Europe. Au moment où les États-Unis deviennent un démultiplicateur d’incertitude, l’Union européenne doit se réinventer comme un réducteur de risques.
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 septembre 2017)