Pendant que Trump isole son pays, la Chine se globalise. L’Europe ne doit compter que sur elle-même.
Sept mois après sa prise de fonctions, Donald Trump accumule les échecs. Les réformes majeures de son programme portant sur la fiscalité, le lancement d’un vaste programme de modernisation des infrastructures ou encore le système de santé avec l’abolition de l’Obamacare sont bloquées. Aucun accord n’est intervenu avec le Congrès ni pour le budget 2018 ni sur le déplafonnement de la dette, qui doit impérativement intervenir avant la mi-octobre. La croissance, qui devait atteindre 3 %, plafonnera à 2,1 % en 2017. En dépit des bons résultats des entreprises américaines, les marchés financiers montrent une nervosité croissante en raison de l’imprévisibilité du président, du caractère erratique de sa politique, de la montée des risques politiques et stratégiques qui en résultent. L’effet positif de la chute du dollar ne suffit pas à contrebalancer le risque de récession qui pointe à l’horizon des dix-huit prochains mois.
Le tournant protectionniste n’a pas remédié au déficit de productivité des États-Unis pas plus qu’à la polarisation du marché du travail et de la société qui est avant tout le produit de la révolution numérique et de l’économie de bulle. Le retrait des États-Unis du Pacte transpacifique a ruiné la tentative de cantonnement commercial de la Chine en Asie et laisse le champ libre au projet de zone de libre-échange porté par Pékin. La renégociation de l’Aléna bute contre la volonté américaine d’imposer des quotas de production, notamment dans l’automobile, et contre les normes applicables aux secteurs de l’agriculture, du textile ou du numérique. La sortie de l’accord de Paris sur le climat, en partie contrecarrée par la position des États fédérés et des grandes métropoles, offre une formidable chance aux entreprises chinoises de dominer l’économie de l’environnement et les technologies vertes.
Au total, la confrontation annoncée tourne largement à l’avantage de la Chine de Xi Jinping, qui renforce son pouvoir autocratique, poursuit les réformes économiques et financières, met à profit le repli américain pour accélérer son expansion en Asie. Les nouvelles routes de la soie, qui mobilisent 890 milliards de dollars sur plus de 900 projets répartis dans 64 pays, exportent le modèle de développement et de démocrature chinois. Les États-Unis se révèlent impuissants à endiguer la prise de contrôle de la mer de Chine à partir de la poldérisation et de la militarisation d’îlots qui constituent les jalons d’une grande muraille maritime destinée à les repousser sur la côte orientale du Pacifique. La même paralysie domine face aux provocations de la Corée du Nord, qui menace de frapper l’île de Guam : l’option militaire est impossible compte tenu des représailles potentielles envers la Corée du Sud et le Japon ; l’option diplomatique dépend tout entière de la Chine, qui joue de la crise nord-coréenne pour éviter les sanctions commerciales des États-Unis, saper leur garantie de sécurité et les couper de leurs alliés asiatiques. En quelques mois, Trump a ainsi fait le vide autour de lui. Le clanisme, l’improvisation et l’amateurisme qui sont sa marque de fabrique se traduisent par la multiplication des départs de la Maison-Blanche – le dernier étant celui de l’idéologue Steve Bannon. Des milliers de postes demeurent non pourvus dans l’administration tandis que les relations se tendent avec le Congrès, entraînant la paralysie des institutions. Comme sous Richard Nixon, la présidence est réduite à une citadelle assiégée par les procédures judiciaires qui visent Trump et ses proches, rendant l’impeachment inéluctable. Les États-Unis n’ont jamais été aussi divisés depuis la guerre du Vietnam. Le soutien apporté par Trump aux suprémacistes blancs après les violences de Charlottesville réactive les clivages raciaux, qui constituent le point faible de la nation américaine, tandis que la radicalisation de l’opinion interdit les compromis nécessaires aux réformes. Enfin, les plus fidèles alliés des États-Unis, Allemagne, Japon ou Corée du Sud, régulièrement ciblés par les tweets présidentiels, n’ont d’autre choix que de prendre leur distance.
L’affligeant bilan de Trump donne la mesure des ravages du populisme sur la démocratie. Les Etats-Unis conservent, avec le Congrès, le système judiciaire et les médias, des contre-pouvoirs dont on peut espérer qu’ils permettront de limiter ses dommages. Mais le risque existe que l’échec de Trump, en exacerbant les divisions politiques et en déchaînant les passions collectives, ouvre la voie à des dérives plus radicales encore. Les séquelles de sa présidence pèseront en tout cas durablement. Les Etats-Unis liquident leur leadership avec la déstabilisation des traités commerciaux, des alliances et des institutions multilatérales qui relayaient leur influence, et ce au moment où la Chine se globalise.
Les Européens doivent tirer toutes les conséquences du choc populiste qui frappe l’Amérique de Trump. Ne rien faire qui puisse amplifier le repli des Etats-Unis tout en renforçant les liens avec la partie de la société américaine ouverte sur le monde. Tout faire pour renforcer l’Union, ses valeurs, ses institutions et ses modes de vie. Les États-Unis ne constituent plus une réassurance mais un risque. L’Europe ne peut plus compter sur leur garantie. Elle doit s’organiser pour assurer par ses propres moyens sa prospérité, sa sécurité et sa liberté.
(Chronique parue dans Le Point du 31 août 2017)