L’Amérique de Donald Trump, nationaliste et protectionniste, suicide son leadership, tandis que la Chine de Xi Jinping se transforme en puissance globale.
La révolution industrielle a provoqué au XIXe siècle une grande divergence, selon la formule de Kenneth Pomeranz, entre l’Europe et la Chine, qui représentait auparavant le quart du PIB de la planète. Elle s’explique en partie par des facteurs contingents liés à la présence de charbon à proximité des centres urbains anglais, mais surtout par les atouts dont l’Europe s’est dotée à partir de la fin du XVIe siècle : le déploiement de technologies intensives en capital, l’essor d’États modernes unifiant les marchés, l’expansion territoriale et commerciale consécutive aux Grandes Découvertes, l’émergence de l’État de droit et de la démocratie.
Le XXIe siècle voit l’inversion de la grande divergence entre la Chine et l’Occident, incarné par les États-Unis. L’Amérique de Donald Trump, happée par une spirale nationaliste et protectionniste, suicide son leadership. La Chine de Xi Jinping se transforme en puissance globale.
Les États-Unis sont minés par le populisme. L’Administration Trump est en proie au chaos et cernée par les menaces judiciaires. Les réformes concernant la fiscalité, le système de santé et l’immigration sont bloquées. La croissance ne dépassera pas 2,1 % en 2017 et un risque de récession se dessine. Le virage protectionniste s’est principalement concrétisé par le retrait des États-Unis du pacte transpacifique, qui annihile le cantonnement de la Chine en Asie. Les États-Unis se découvrent impuissants à contrer l’annexion de la mer de Chine par Pékin comme à répondre aux menaces nord-coréennes de frappes sur leur territoire. Leurs alliances stratégiques se délitent ainsi que l’illustre le basculement des Philippines et de la Malaisie vers Pékin ou la multiplication des contentieux avec l’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud.
Le repli des États-Unis laisse le champ libre à la Chine, dont la stratégie allie poursuite des réformes économiques, exportation de son modèle de croissance et de gouvernement, construction d’une grande muraille maritime qui repousse les États-Unis hors d’Asie.
Le pari de Xi Jinping de maintenir une croissance élevée tout en s’orientant vers un développement plus durable est bien engagé. L’activité progresse de 6,9 % en 2017, tandis que l’augmentation de la masse monétaire a été ramenée au même niveau, ce qui témoigne de l’effort de contrôle de l’endettement qui atteint 256 % du PIB. Simultanément, la supervision des banques et des marchés financiers a été durcie et les investissements à l’étranger (183 milliards de dollars en 2016) placés sous surveillance stricte afin d’endiguer la spéculation. L’innovation et l’automatisation de la production accélèrent, notamment dans l’électronique et l’automobile, avec un parc de 340 000 robots opérationnels, tandis que des investissements massifs sont effectués dans l’intelligence artificielle.
La Chine met pleinement à profit la rupture des États-Unis avec le multilatéralisme. L’abandon du pacte transpacifique ouvre la voie au projet chinois de zone de libre-échange. La dénonciation par Washington de l’accord de Paris sur le climat offre à Pékin l’occasion idéale pour prendre le leadership de l’économie de l’environnement, notamment dans les technologies à faible intensité en carbone ainsi que l’électricité solaire ou éolienne. Les « nouvelles routes de la soie », qui mobilisent 890 milliards de dollars sur plus de 900 projets répartis dans 64 pays, mondialisent le modèle chinois. Avec pour objectifs de contrôler les infrastructures essentielles de la mondialisation, de créer des débouchés pour les exportations, de garantir l’accès aux matières premières et aux sources d’énergie, enfin d’instaurer une tutelle politique via la dette.
Xi Jinping entend tirer toutes les conséquences du repli des États-Unis. Rompant avec la prudence de Deng Xiaoping, il poursuit la prise de contrôle de la mer de Chine à partir de la poldérisation et de la militarisation d’îlots, et construit une marine de haute mer pour contester l’hégémonie navale américaine. Il joue par ailleurs de la crise nord-coréenne pour renforcer la pression sur les États-Unis. La stratégie globale de la Chine a pour clé de voûte le renforcement du pouvoir de Xi Jinping, qui a reçu le titre de noyau dur du Parti communiste. Le XIXe congrès, qui se tiendra à l’automne, sera déterminant moins pour le nouveau mandat de cinq ans du président chinois, qui est acquis, que pour l’éventuelle élimination de toute opposition qui ouvrirait la voie à son maintien au pouvoir après 2022. La reprise en mains musclée de Hongkong et la nouvelle purge effectuée à Chongqing avec la démission de Sun Zhengcai, nommé après la chute de Bo Xilai, témoignent de ce que tous les jeux ne sont pas faits. La Chine ignore le suffrage universel mais non pas les incertitudes politiques. Et Xi Jinping, contrairement à Donald Trump, n’oublie pas que pour prétendre être maître du monde, il faut d’abord être maître chez soi et maître de soi-même.
(Chronique parue dans Le Figaro du 28 août 2017)