La révolution bolivarienne imaginée par Hugo Chavez au Venezuela a tourné au drame. Cette crise incarne l’opposition mondiale entre réformisme et populisme.
Depuis la décision du président Maduro de faire élire une Assemblée constituante afin d’empêcher sa destitution et de contourner la victoire de l’opposition aux élections législatives du 6 décembre 2015, le Venezuela a plongé dans la violence et le chaos. Avec le scrutin du 30 juillet, qui a fait l’objet d’une fraude massive – moins de 3 millions de votants effectifs sur 8,1 millions de suffrages comptabilisés –, le pays a basculé dans la dictature, comme l’a dénoncé jusqu’à Luisa Ortega, procureure générale et fidèle d’Hugo Chavez.La survie de Nicolas Maduro est désormais suspendue au soutien de l’armée. La répression sauvage des manifestations, qui fait la part belle aux colectivos, bandes criminelles armées par le régime chaviste, tourne à la quasi-guerre civile, au prix de plus de 120 morts depuis avril. Les exécutions extrajudiciaires et l’usage de la torture se généralisent. Les dirigeants de l’opposition sont systématiquement emprisonnés, à l’image de Leopoldo Lopez, le fondateur du parti Voluntad popular, et d’Antonio Ledezma, le maire de Caracas.
Rompant avec une longue et scandaleuse indifférence, la communauté internationale se mobilise, isolant Caracas, qui est suspendu du Mercosur, menacé d’exclusion de l’Organisation des États américains, tenu à distance par la Chine – qui s’apprête à perdre 65 milliards de dollars de prêts impayés – et jusqu’à Cuba, qui gérait les services de sécurité du régime. Les États-Unis, tout en évitant, pour des raisons humanitaires, de recourir à des rétorsions contre le pays, ont pris des sanctions contre le président Maduro, ce qui le range dans la même catégorie que Bachar el-Assad, Kim Jungun et Robert Mugabe.L’oppression et la violence qui règnent au Venezuela sont le pur produit de la révolution bolivarienne imaginée par Hugo Chavez. Sur le plan économique, elle a ruiné le pays, qui possède les premières réserves pétrolières du monde devant l’Arabie saoudite (300 milliards de barils, contre 270), avec une récession de l’activité qui s’élève à 18 % pour 2016 et 12 % pour 2017. Simul – tanément, l’inflation atteindra 720 % cette année et dépassera 2000 % l’an prochain. Sur le plan financier, le Venezuela est en situation de défaut avec des réserves de changes réduites à moins d’un mois d’importations et l’arrêt des recettes d’exportation de pétrole vers les États-Unis, qui rapportaient 12 milliards de dollars. Sur le plan social, 80 % des 32 millions de Vénézuéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté, souffrant d’une famine endémique, de l’absence de produits de première nécessité et de soins médicaux, de coupures chroniques d’eau et d’électricité. Du point de vue civil, la criminalité a explosé et les villes sont passées sous le contrôle des gangs employés comme milices par le régime, responsables de 6 000 homicides par an dans la seule agglomération de Caracas. Sur le plan démographique, un flot de 1,5 million de réfugiés et de boat people fuit l’enfer vénézuélien vers la Colombie, le Brésil, où Manaus a été déclarée en urgence sociale du fait de l’afflux des migrants, et le Chili.
La tragédie vénézuélienne renvoie moins à la malédiction des matières premières qu’à une idéologie dévastatrice pour l’économie, les libertés et l’humanité, idéologie qui est partagée par les populismes d’extrême gauche en Amérique latine et en Europe – des Insoumis en France à Podemos en Espagne en passant par Cinque Stelle en Italie. Sous la bannière de l’antilibéralisme, elle fait converger l’ultranationalisme et le socialisme. Avec pour programme les recettes qui ont conduit le Venezuela à la faillite et à la guerre civile : les nationalisations et l’expropriation des entreprises privées ; la confiscation des richesses par l’Etat pour financer les missions sociales ; l’enrégimentement de la société et son quadrillage par les milices ; la suppression des libertés fondamentales, réputées formelles, et la répression de l’opposition ; la rupture avec l’Occident et les institutions multilatérales. La réhabilitation de la lutte des classes est indissociable du recours assumé à la violence, qui heurte frontalement les principes de modération, de jeu des contre-pouvoirs et de respect de l’État de droit qui fondent la démocratie.Loin d’être un drame marginal, la crise du Venezuela constitue un enjeu majeur dans la confrontation mondiale qui oppose le réformisme et le populisme. Aux États-Unis, Donald Trump, par son inconséquence et son imprévisibilité, est en passe de détruire le leadership américain, laissant le champ libre à la Chine de Xi Jinping. Au Royaume-Uni, le Brexit tourne au cauchemar alors que l’Union européenne se relance et que la zone euro se redresse. En Amérique latine, le succès des réformistes au Chili, en Colombie ou dans l’Argentine de Mauricio Macri contraste avec les amas de ruines et de dettes laissés par les frères Castro, les époux Kircher ou Lula da Silva au Brésil.Il ne fait aucun doute que le chavisme, tout comme le soviétisme, est condamné car il ne peut ni se maintenir ni se réformer. Seuls restent incertains le moment de sa chute et le nombre de victimes qu’elle provoquera. Voilà pourquoi, au lieu de prétendre proposer une médiation condamnée par la nature dictatoriale du régime, les démocraties doivent se coordonner pour mettre en place un régime strict de sanctions internationales et pour soutenir ce qui reste d’opposition et de société civile. Les bases du redressement existent car le Venezuela, au-delà de ses exceptionnelles ressources en hydrocarbures, dispose d’immenses richesses (or, argent, diamants, bauxite), d’un potentiel agricole et touristique exceptionnel, d’une classe moyenne éduquée ainsi que de remarquables élites. Mais il n’est pas de solution possible sans un changement drastique de modèle économique et social, une restructuration financière et une aide internationale, qui ont pour condition préalable le départ du président Maduro.Au-delà, la tragique révolution bolivarienne nous rappelle certaines vérités premières.
- La liberté ne se divise pas et il n’est pas de respect des droits individuels sans économie de marché.
- Le socialisme et l’hypernationalisme, au XXIesiècle comme au XXesiècle, ne produisent que l’oppression, l’ensauvagement de la société et la paupérisation des masses.
- Ainsi que le souligne Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature en 2010 : « Un régime civil et représentatif, né d’élections libres, soutenu par la loi et contrôlé par la liberté de la presse, même corrompu et inefficace, sera toujours préférable à une dictature. »
(Tribune de Nicolas Baverez – L’Express du 22 août 2017)