De financière et économique, la crise est devenue principalement politique.
Le 7 août 2007, débutait la plus violente crise du capitalisme depuis le krach d’octobre 1929 avec la décision de BNP Paribas de geler la valorisation de trois de ses fonds.
Elle s’est mondialisée en trois temps avec l’effondrement du crédit consécutif à la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, la tourmente de la zone euro à compter de 2009 puis le choc sur les émergents à partir de 2013. Les causes du cataclysme ont mêlé, comme dans les années 1920, une économie de bulle immobilière et financière, des politiques monétaires laxistes, des déséquilibres fondamentaux des échanges et des paiements mondiaux.
Dix ans après, la situation est très différente de celle des années 1930 où la déflation ne trouva d’autre issue que la Seconde Guerre mondiale. La reprise s’affirme, forte d’une croissance de 3,5 % en 2017 et 3,6 % en 2018, d’une vigueur retrouvée du commerce international qui progressera de 4,6 % en 2017, du retour vers le plein emploi avec un taux de chômage revenu à 5,9 % de la population active.
La politique économique a donc réussi à éviter une dépression mondiale.
D’un côté, elle a poursuivi les bonnes priorités en sauvant les banques à travers 5 000 milliards de dollars de concours publics, en soutenant la demande au prix d’un plan de relance planétaire mobilisant 40 % du PIB des grands pays développés et de la Chine, en endiguant le recours au protectionnisme. De l’autre, le risque financier systémique a imposé une coordination inédite entre les grands États au sein du G20 sur les mesures de soutien à l’activité comme sur la régulation bancaire.
Désormais, les pressions déflationnistes et le chômage de masse s’effacent devant le retour de l’inflation. Et le défi central de la politique économique se déplace vers la normalisation des stratégies d’assouplissement quantitatif du crédit et le désendettement des États.
Au-delà du rétablissement progressif du cycle économique, de formidables changements sont intervenus dans l’ordre économique mondial. La crise a accéléré le rééquilibrage entre le Nord et le Sud, porté par l’ascension de la Chine qui est devenue la première puissance en termes de parité de pouvoir d’achat et qui assure un tiers de la croissance globale. Les inégalités ont été réduites entre les pays mais se sont accrues au sein des nations du fait du cumul de la récession et de la révolution numérique qui entraîne une polarisation des individus, des entreprises et des territoires. Le stock des dettes s’est envolé pour dépasser 200 000 milliards de dollars, soit trois années de PIB mondial, créant un nouveau risque systémique. La régulation des banques a été notablement renforcée mais demeure très hétérogène, notamment en Chine, et se trouve menacée aux États-Unis par la volonté de Donald Trump d’annuler le Dodd-Frank Act voté en 2010.
De financière et économique, la crise est devenue principalement politique. Dans les pays développés, la déstabilisation des classes moyennes a provoqué une vague populiste qui a déferlé en 2016 avec le vote du Brexit au Royaume-Uni, puis l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Elle s’enracine dans les séquelles laissées par la déflation, dans la marginalisation face à l’ère digitale, dans le désarroi identitaire, la peur de l’immigration et le sentiment croissant d’insécurité qui nourrissent la haine des élites et la défiance dans les institutions démocratiques.
Il en résulte un renversement du monde. Les États-Unis et le Royaume-Uni qui ont lancé la mondialisation avec les réformes libérales dans les années 1980 renouent avec les frontières et le protectionnisme. L’Amérique sape les principes de l’ordre mondial et du multilatéralisme – du FMI à l’Otan en passant par l’OMC, le TPP ou l’accord de Paris sur le climat. La Chine s’érige en héraut du libre-échange et de la stabilité du système mondial, tout en accélérant son expansion territoriale en mer de Chine et commerciale à travers les nouvelles routes de la soie.
Le seul point commun reste l’exaltation des nationalismes qui accroît les risques de conflit au moment où la rivalité pour le leadership du XXIe siècle tourne à l’avantage de la Chine, la stratégie impériale méthodique de Xi Jinping contrastant avec l’irrationalité et la paralysie de Donald Trump, désormais menacé d’une procédure d’impeachment. L’Europe est prise en tenailles entre l’affirmation des ambitions de puissance chinoises et la décomposition du leadership des États-Unis, illustrée par leur isolement lors du G20 de Hambourg. La tempête n’est donc pas derrière nous. Toutes les leçons sont loin d’avoir été tirées du terrible choc de 2008.
Une nouvelle secousse est parfaitement possible, qui pourrait venir de l’éclatement des bulles de dettes, de l’effondrement du système des échanges internationaux en raison de la fragmentation de la mondialisation ou des tensions géopolitiques.
Elle serait ravageuse non seulement sur le plan économique, car les marges de manœuvre de la politique économique sont épuisées, mais aussi sur le plan politique avec le déchaînement des populismes et sur le plan international avec l’exacerbation des rivalités de puissance.
Les antidotes sont connus. Au plan national, le rééquilibrage des stratégies économiques en faveur d’une croissance inclusive, des investissements, de l’innovation et de l’éducation pour acclimater la révolution numérique et générer de nouveaux gains de productivité. Au plan européen, le renforcement des structures de la zone euro et la mise en place d’une union économique et financière organisant une convergence sociale et fiscale.
Au plan mondial, la lutte contre le protectionnisme et la relance de la coopération entre les grands pôles qui structurent la mondialisation.
L’humanité est entrée dans l’âge de l’histoire universelle par le capitalisme. Elle peut en sortir par une nouvelle grande crise du capitalisme qu’il faut à tout prix éviter.
(Chronique parue dans Le Figaro du 24 juillet 2017)