Inflation latente, productivité au ralenti, instabilité politique imposent la vigilance.
Dix ans après le pire krach de l’histoire du capitalisme depuis 1929, la reprise de l’économie mondiale se confirme. La croissance s’établira à 3,5 % en 2017 et 3,6 % en 2018. Le commerce mondial progressera de 4,6 % en 2017, contre 2,4 % en 2016. Mieux, la planète renoue avec un quasi-plein-emploi, puisque le taux de chômage est revenu à 5,9 % de la population active, favorisant l’augmentation du salaire par tête (4 % aux Etats-Unis).
Pour autant, les séquelles de 2008 continuent à peser, qu’il s’agisse de la formidable hausse du stock des dettes ou de la déstabilisation des classes moyennes. De financière et économique, la crise est devenue politique. Elle se traduit par la vague populiste qui a frappé le Royaume-Uni avec le Brexit puis les Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump, mais aussi par la remise en question de l’indispensable coopération internationale.
En économie comme en politique, le moment de la reprise après une grande crise voit culminer les risques. C’est le cas aujourd’hui. Le cycle économique a été dominé depuis dix ans par la stagnation, les pressions déflationnistes et le chômage de masse. Avec la croissance et le plein-emploi, l’inflation est de retour. Les prix industriels et les salaires se redressent, comme ceux du commerce international, en hausse de 6 %, contre une baisse de 10 % par an au cours de la dernière décennie.
Dès lors, la normalisation des politiques monétaires très accommodantes conduites par les grandes banques centrales est inévitable. Elle implique une hausse des taux d’intérêt qui pourrait faire basculer les Etats-Unis dans la récession au terme d’une de leurs plus longues périodes d’expansion, avec, à la clé, un nouvel emballement du populisme. La remontée des taux impactera par ailleurs les Etats, notamment dans les pays développés, où la dette publique culmine à 120 % du PIB, comme les entreprises, dont l’endettement atteint des niveaux très élevés (170 % du PIB dans les pays développés et jusqu’à 220 % en Chine). Elle va enfin de pair avec un risque de correction sur les marchés d’actions, dont la capitalisation a été multipliée par trois en huit ans.
La poursuite de la reprise se heurte aussi au ralentissement de la productivité, dont dépend la hausse du niveau de vie quand la population se stabilise et vieillit. Paradoxalement, la révolution numérique s’accompagne d’une chute des gains de productivité, passés depuis 2000 de 1 à 0,3 % par an dans les pays riches et de 2 à 1 % chez les émergents. Trois raisons y contribuent : du côté de la demande, la croissance très faible de la population et le creusement des inégalités ; du côté de l’offre, la diffusion hétérogène de la révolution digitale et sa concentration dans les secteurs des loisirs et de la communication ; du côté du financement de l’investissement et de l’innovation, les contraintes issues de la restructuration des banques et du surendettement.
L’originalité du moment présent provient cependant de l’envolée des risques politiques. L’explosion des passions protectionnistes et nationalistes dans les démocraties fragilise l’ordre économique mondial. A défaut de réformer le système de santé ou la fiscalité, Donald Trump achève de démanteler la position des Etats-Unis de régulateur ultime du capitalisme mondialisé, déjà mise à mal par le krach de 2008. Le G20 de Hambourg s’est ainsi conclu par l’isolement complet des Etats-Unis. Or la désintégration de la coopération multilatérale serait particulièrement dangereuse en cas de nouvelle secousse financière. Elle renforce par ailleurs la possibilité de guerres commerciales et monétaires qui exacerberaient les tensions géopolitiques. Le G20, qui avait perdu de son sens après la gestion du choc de 2008 et la mise en place d’une régulation financière internationale, retrouve ainsi son utilité pour endiguer les forces hostiles à la mondialisation, au libre-échange et à la lutte contre le réchauffement climatique.
La reprise de l’économie mondiale ne sera durable que si elle est adossée à des politiques publiques actives et coordonnées. Prudence des banques centrales dans la normalisation de leurs politiques monétaires. Maîtrise des déficits et des dettes publics dans un contexte de remontée des taux d’intérêt. Réformes du marché du travail, investissement dans l’éducation et les infrastructures, effort de recherche et d’innovation pour relancer la productivité et accompagner la révolution numérique. Croissance inclusive pour désarmer les causes du populisme. Renforcement de la gouvernance de l’économie mondiale pour éviter sa fragmentation et anticiper les prochains chocs.
Il n’est pas d’économie de marché sans gouvernance et sans régulation efficaces. Au moment où les Etats-Unis ont perdu la légitimité, la capacité et la volonté de l’assurer, c’est à l’Europe de reprendre à son compte la défense des valeurs de la liberté économique et d’engager le dialogue avec les grands pays émergents pour conforter la reprise et construire les cadres et les règles pour un développement soutenable au XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Point du 20 juillet 2017)