Submergée par l’afflux de migrants, une dette publique colossale, un secteur bancaire fragile… L’Italie est le principal risque qui pèse sur l’Europe.
Depuis son unité, proclamée en 1861, l’Italie a souvent servi de laboratoire politique. Elle inventa le fascisme avec Benito Mussolini. Elle figura parmi les pères fondateurs de la construction européenne, dont l’acte de baptême demeure le traité de Rome. Après la chute du mur de Berlin, elle fut la première démocratie occidentale à expérimenter l’effondrement du système politique issu de l’après-guerre. Sur ses ruines se développèrent Forza Italia – la klepto-médiacratie de Silvio Berlusconi préfigurant l’élection de Donald Trump – et la Ligue du Nord – annonçant la renaissance du populisme qui s’incarne depuis 2009 dans le mouvement Cinque Stelle de Beppe Grillo.
L’Italie cumule en effet toutes les causes du populisme. La stagnation économique avec un PIB qui reste inférieur de 7 % à son niveau de 2007. La paupérisation de la population dont le niveau de vie a reculé de 10 % au cours de la dernière décennie. La déstabilisation des classes moyennes sous la pression croisée de la mondialisation et de la révolution numérique. Le creusement des inégalités sociales et territoriales depuis le krach de 2008, les jeunes diplômés s’exilant tandis que 10 % de la population a basculé dans la grande pauvreté. La révolte des citoyens devant la hausse de la fiscalité qui ne parvient pas à enrayer l’envol de la dette publique jusqu’à 132,8 % du PIB. Le désarroi identitaire face à l’afflux de 180 000 migrants en 2016 et près de 80 000 depuis le début de 2017, l’Italie étant redevenue le principal point d’entrée dans l’Union depuis la fermeture de la route des Balkans.
Après la clôture du cycle électoral français qui s’est achevé par l’élection d’Emmanuel Macron puis le succès écrasant de LREM lors des élections législatives, l’Italie s’affirme comme le principal risque qui pèse sur l’Union européenne et la zone euro. Risque démographique avec la diminution de la population de 162 000 personnes par an et la chute de la fécondité à 1,3 enfant par femme. Risque économique avec une croissance bridée par une productivité et une innovation faibles (la recherche est réduite à 1,3 % du PIB). Risque social avec un taux de chômage de 11,1 % pour la population active et 34 % chez les jeunes. Risque financier avec la conjonction d’une dette publique de 2 220 milliards d’euros et de la fragilité du secteur bancaire qui croule sous 360 milliards d’euros de créances douteuses. Risque institutionnel qui découle de la faiblesse de l’État, symbolisée par l’impuissance à mettre en place une prévention efficace des séismes, qui ont provoqué plus de 9 000 morts et généré 250 milliards d’euros d’indemnisations au cours du dernier demi-siècle, comme par l’emprise des mafias qui contrôlent environ 10 % du PIB. Risque politique avec la montée en puissance de Cinque Stelle.
Tout comme la France, l’Italie représente un risque systémique pour la zone euro et pour les marchés financiers. La course de vitesse qui se trouve engagée entre les réformistes et les populistes dans la perspective des élections de 2018 est donc tout aussi décisive pour l’Italie que pour l’Europe.
Les réformistes tablent sur l’amélioration de la conjoncture, avec une croissance qui devrait atteindre 1,3 % en 2017, portée par le retour de la confiance des consommateurs et par le dynamisme des exportations. Ils misent aussi sur un effet Macron, favorisant la convergence des modérés de gauche et de droite – de Matteo Renzi à Silvio Berlusconi –, comme sur le réveil du sentiment européen. Et ce au moment où les expériences populistes accumulent les échecs, qu’il s’agisse de la calamiteuse gestion de Rome par les affidés de Beppe Grillo, de la déconfiture du Brexit, de l’atonie économique et du démantèlement du leadership américain qui résultent des errances de Donald Trump. Le mouvement Cinque Stelle joue pour sa part sur les passions hostiles au marché, à l’Europe et à l’immigration et en appelle au peuple contre les élites.
La tentation d’anticiper les élections – dont les dangers ont récemment été illustrés par le cinglant revers infligé par les Britanniques à Theresa May – a été heureusement abandonnée et le gouvernement de Paolo Gentiloni s’est vu prolonger jusqu’en février 2018. Mais il reste à consolider la reprise et à éviter tout choc majeur d’ici là. Ainsi s’explique la nouvelle opération de renflouement du système bancaire par l’État qui, après avoir obtenu l’accord de principe de la Commission pour sauver Monte dei Paschi di Siena en permettant la reprise de 29 milliards d’euros de créances douteuses par le fonds Atalante, a versé 5,2 milliards et mobilisé 12 milliards de garanties au bénéfice d’Intesa San Paolo en échange de la prise de contrôle de Banca Popolare di Vicenza et de Veneto Banca. Avec pour objectif d’éviter un défaut qui aurait ruiné déposants et épargnants, sinistré la Vénétie, déstabilisé l’ensemble du système bancaire et ouvert la possibilité d’une fuite massive des dépôts.
Cette opération souligne l’incapacité persistante de l’Italie à assainir son système financier, très intégré au capitalisme familial et aux pouvoirs régionaux. Venant après la reprise de Banco Popular par Santander en Espagne, elle rappelle aussi le retard accumulé dans la restructuration des banques de la zone euro comme les failles et l’irréalisme des principes de l’Union bancaire. L’interdiction de principe des interventions publiques reporte tout le poids des défauts sur les déposants et les actionnaires et néglige les risques systémiques en dépit du dramatique précédent de Lehman Brothers.
Nicolas Machiavel rappelait qu’« en politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal ». L’Italie doit certes se réformer mais l’Union européenne doit aussi se repenser. Elle doit cesser de sacrifier son système financier ou sa sécurité à des chimères puritaines. Son ennemi n’est pas la finance, ce sont le populisme d’un côté, le djihadisme et les démocratures de l’autre. Pour les combattre, elle doit favoriser une croissance inclusive, investir dans l’éducation et l’innovation, définir une politique de l’immigration et retrouver le contrôle de ses frontières extérieures.
(Chronique parue dans Le Figaro du 03 juillet 2017)