Pour le président Temer, le temps des réformes est arrivé s’il veut sortir son pays du chaos… et sauver la démocratie sur tout le continent sud-américain.
Le Brésil symbolise les difficultés des pays émergents et la divergence des BRICS, divisés entre, d’une part, la Chine et l’Inde, qui poursuivent leur développement intensif (croissances respectives de 6,5 et 7,5 % par an) et, d’autre part, la Russie, l’Afrique du Sud et le Brésil, qui ont basculé dans la récession.
Le Brésil traverse la pire crise de son histoire, avec une chute du PIB de 7,2 % entre fin 2014 et début 2017. L’inflation a dépassé 10 %, entraînant la dévaluation du real. Le déficit et les dettes publics atteignent 8,5 et 80 % du PIB. Le chômage a doublé, il touche 13,8 % de la population active, soit près de 14,5 millions de personnes.
Près de la moitié des 20 millions de Brésiliens qui avaient accédé à la classe moyenne ont replongé dans la pauvreté. La violence échappe à tout contrôle, avec plus de 60 000 meurtres par an et la mort de 318 000 jeunes de moins de 29 ans entre 2005 et 2015. Enfin, la pénurie d’infrastructures et l’inefficacité des services de santé favorisent les catastrophes sanitaires, à l’image du virus Zika et de l’épidémie de fièvre jaune.
Simultanément, le Brésil est paralysé par la désintégration du système politique et de la classe dirigeante, sous l’effet des scandales Petrobras et Odebrecht, géant des travaux publics soupçonné d’avoir dépensé plus de 1 milliard de dollars pour acheter des décideurs publics dans toute l’Amérique latine. Les Brésiliens découvrent avec effarement que leur pays est le plus corrompu du sous-continent derrière le Venezuela chaviste.
La suspension puis la destitution de Dilma Rousseff, le 31 août 2016, loin de rétablir la confiance des citoyens, a exacerbé la colère du pays. L’acquittement par le tribunal supérieur électoral, le 9 juin, de son successeur, Michel Temer, accusé de corruption passive, d’obstruction à la justice et de participation à une organisation criminelle à l’occasion du financement de leur campagne présidentielle commune, a renforcé la désillusion des Brésiliens.
La déconfiture du Brésil doit moins à la fin du supercycle des matières premières qu’à l’inconséquence des politiques conduites par Lula puis Dilma Rousseff. Le miracle brésilien des années 2000 était fondé sur l’envolée de l’endettement et adossé à la forte hausse du prix du pétrole et des matières premières. La productivité a stagné. L’investissement a été sacrifié à la consommation, alimentée par des transferts dignes d’un État-providence européen, notamment via le système de retraite assurant un départ à 53 ans pour une espérance de vie de 75 ans. Les programmes sociaux ont été financés par les capitaux internationaux et le siphonage de Petrobras, qui a accumulé une dette de plus de 100 milliards de dollars. Lula a redistribué des aides sociales financées à crédit par les marchés financiers, tout en écartant les réformes qui s’imposaient. La croissance a été stimulée artificiellement avant de s’effondrer à partir de 2014. Le déni de la crise par Dilma Rousseff a précipité l’asphyxie des entreprises, la ruine des ménages et la quasi-faillite de l’État.
La descente aux enfers du Brésil ne relève nullement de la fatalité. Une reprise très lente et progressive se dessine. L’inflation a été ramenée à 3,6 % sur un an. Les exportations reprennent et les capitaux étrangers reviennent en raison des formidables atouts du pays : le dynamisme de sa population de 210 millions d’habitants ; les richesses de son territoire ; des réserves de change se montant à 19 % du PIB.
La démocratie brésilienne est soumise à un test décisif avec l’administration de transition de Michel Temer, qui tente de réaliser avant les élections de 2018 les réformes clés : plafonnement des dépenses publiques à 15 % du PIB ; flexibilité du marché du travail ; mise en concession des autoroutes et des aéroports pour relancer l’investissement (limité à 15,6 % du PIB, contre 44 % en Chine, 31 % en Inde, 25 % en Russie et 19 % en Afrique du Sud) ; report de l’âge légal de la retraite à 65 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes. Avec pour atout la sortie de la récession et pour handicap sa faible légitimité. Avec pour condition l’éradication de la corruption.
Or l’évolution du Brésil est décisive pour l’Amérique latine, dont il représente 60 % de l’économie. Une Amérique latine qui renoue avec la croissance après deux années de récession et se trouve écartelée entre la dynamique de développement à l’œuvre dans la Colombie de Juan Manuel Santos – croissance de 2,3 % et retour à la paix civile – comme dans l’Argentine de Mauricio Macri, et la démagogie mortifère qui plonge le Venezuela de Nicolas Maduro dans le chaos. Le combat entre la démocratie et le populisme se joue aussi en Amérique latine. Et le Brésil est son champ de bataille principal.
(Chronique parue dans Le Point du 29 juin 2017)