L’Internet et le boom des objets connectés démultiplient les possibilités manipuler ou détruire l’information, pour contrôler individus ou systèmes informatiques.
L’information est la clé de la guerre. Dans le brouillard qui caractérise l’affrontement armé, c’est le savoir qui fait la décision. Il en va de même dans la guerre économique : la protection ou le piratage de l’innovation déterminent largement la hiérarchie des producteurs. Et ce tout particulièrement au cœur d’une révolution technologique qui fait de la capacité à acquérir et traiter les données la nouvelle richesse des entreprises et des nations.
La guerre de l’information vise la prise de contrôle de « l’esprit des gens », pour reprendre la définition de Hannah Arendt. Elle est entrée dans une nouvelle ère avec la révolution numérique. La collecte, le traitement et l’analyse des données ouvrent une cinquième dimension à la guerre : le cyber s’ajoute à la terre, la mer, l’air et l’espace. La connexion de plus de la moitié de l’humanité à Internet et la perspective de disposer d’une vingtaine de milliards d’objets connectés en 2020 démultiplient les possibilités de voler, manipuler ou détruire l’information, avec pour objectif de prendre le contrôle des individus ou des systèmes informatiques.
Le champ de bataille est mondial. Les opérations se déroulent en permanence et en temps réel. Le numérique, plus encore que l’atome qui reste pour l’heure l’apanage des États, possède un pouvoir égalisateur et constitue une arme asymétrique. Il est accessible à des groupes criminels et terroristes, voire à de simples individus, et les met sur un pied d’égalité avec des entreprises globales ou des grandes puissances, comme il est montré par les cyberattaques venues de Corée du Nord – à l’image du virus WannaCry qui a bloqué plus de 200 000 ordinateurs dans 150 pays.
La guerre de l’information ne met pas seulement aux prises des États ; elle épargne le sang tout en montrant une très grande efficacité pour défaire l’ennemi en s’attaquant à l’esprit de sa population. Hobbes rappelait que « gouverner, c’est faire croire ». Celui qui sait faire croire sort vainqueur, tout particulièrement dans les démocraties qui sont des régimes d’opinion. Les démocraties sont des cibles privilégiées de la guerre de l’information qui déstabilise leurs citoyens via les réseaux sociaux pour pervertir leurs institutions et le débat public. Avec plusieurs modes d’action : les attaques personnelles contre les dirigeants ; la divulgation massive de données confidentielles sur le modèle de WikiLeaks ; la diffusion de fausses informations (fake news) ; la propagande nationaliste et religieuse.
Deux ennemis se montrent particulièrement dangereux. Les démocratures comme la Chine, la Russie et la Turquie, avec pour récente illustration les interventions russes dans les élections présidentielles américaine et française. Les mouvements djihadistes qui, en voie d’être défaits au Moyen-Orient, se redéploient en réseau social au cœur des sociétés développées. Mais le risque est aussi intérieur avec les populistes qui, sur fond de discrédit des élites et de radicalisation du corps social, mobilisent les fake news au service de leur démagogie, parfois avec l’aide de médias tels que Fox News ou le site Breitbart aux États-Unis – voire des tweets de Donald Trump.
Les démocraties ne peuvent se contenter de subir la guerre de l’information, sauf à se mettre en très grand danger. D’où la nécessité d’une réaction globale et coordonnée.
Au plan économique, la recherche, la validation et l’indépendance de l’information ont vocation à être protégées par l’application des législations de la concurrence aux plateformes et leur contribution au financement des diffuseurs. Au plan juridique, un régime de responsabilité des plateformes doit être institué pour réprimer la diffusion des fake news, aujourd’hui parfaitement détectables, et de la propagande des démocratures ou des groupes djihadistes. L’Union européenne est ainsi fondée à préserver la liberté de ses citoyens à travers le Privacy Shield ou le règlement pour la protection des données personnelles qui entrera en vigueur le 25 mai 2018. Au plan militaire, l’urgence commande de définir une stratégie cybernétique qui intègre le renseignement, la protection des citoyens, des entreprises et des institutions, enfin la lutte offensive. Au plan politique, la coopération entre Européens est indispensable pour briser l’étau créé par la domination technologique des États-Unis, d’une part, les attaques en provenance du terrorisme islamique ou des démocratures russe et turque, d’autre part.
L’ultime antidote est à chercher dans l’éducation des citoyens des démocraties à la liberté et à la responsabilité. La résistance des contre-pouvoirs aux États-Unis comme des Français lors de la dernière élection présidentielle montre que la guerre de l’information n’est pas perdue. La démocratie reste indissociable de la liberté, de la pluralité et de la véracité de l’information, qui sont plus que jamais un combat.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 juin 2017)