L’avènement d’un centre libéral et européen dans le seul pays du monde développé qui n’a pas engagé la modernisation de son modèle économique et social crée un moment français.
Depuis plusieurs décennies, la France est l’homme malade de l’Europe et du monde développé, cumulant stagnation, chômage de masse, naufrage du système éducatif, dérive des finances publiques, décohésion sociale et montée de la violence. Le blocage de la société et du système politique, incapable de réaliser les réformes indispensables, a ouvert un vaste espace aux populismes à l’intérieur et sapé l’influence de notre pays en Europe et dans le monde.
Appliquant les principes léninistes, Emmanuel Macron, soutenu par un petit groupe d’individus déterminés, a compris que le pouvoir était à prendre. Il a bel et bien fait la révolution politique dont il se réclamait. En quelques mois, il a conquis la présidence de la République et une écrasante majorité à l’Assemblée, laminant les partis et la classe politiques traditionnels, y compris le Front national et l’extrême gauche.
Le cycle électoral à haut risque de 20162017 aboutit à un bouleversement inédit depuis 1958. Contre toute attente, l’effondrement du système politique ne se traduit pas par une embardée populiste, dans la continuité du vote du Brexit au Royaume-Uni et de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, mais par l’avènement triomphal d’un centre libéral et européen.
Ce retournement spectaculaire dans le seul pays du monde développé qui n’a pas engagé la modernisation du modèle économique et social hérité des Trente Glorieuses crée un moment français. Nos concitoyens, humiliés depuis des décennies par leur déclassement et celui de leur pays, retrouvent leur fierté et reprennent espoir. L’Europe, qui considérait notre pays comme un risque majeur pour la zone euro, a pour Macron les yeux de Chimène. Il est le partenaire rêvé d’Angela Merkel pour relancer l’Union et sert de modèle pour l’Italie de Matteo Renzi et l’Espagne d’Albert Rivera Díaz (Ciudadanos) qui veulent reconfigurer la vie politique de leur pays et contrer les populistes à partir du centre. Repoussoir sous Hollande, la France intéresse à nouveau les investisseurs et fait figure de pôle de stabilité au moment où le Royaume-Uni devient ingouvernable et où Trump détruit méthodiquement le leadership américain.
Cependant, le pouvoir absolu de Macron ressemble à une pyramide inversée qui repose sur une pointe fragile, à savoir son score de 24 % au premier tour de la présidentielle et une abstention sans précédent lors des législatives. La concentration de tous les pouvoirs au sein d’une équipe de technocrates délivrés de tout contrepouvoir peut inciter à la démesure. La révolution politique, effective, n’a pas, contrairement à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958 ou de Margaret Thatcher en 1979, été précédée d’une réflexion sur un projet cohérent de modernisation du pays.
Surtout, la victoire d’anéantissement de LREM sur les partis traditionnels n’empêche pas les faiblesses structurelles de notre pays de s’aggraver : faible productivité du travail ; défaut de compétitivité illustré par le creusement du déficit commercial à 56 milliards d’euros ; déficit public compris entre 3,3 et 3,5 % du PIB ; polarisation du corps social et des territoires ; guerre civile larvée ; surengagement et épuisement des forces armées qui se dirigent vers une situation de cessation de paiement à l’automne, du fait du gel de 2,7 milliards d’euros de crédits ; divergence avec l’Allemagne, qui affiche une croissance de 2 %, un taux de chômage de 4,2 %, un surplus commercial de 253 milliards d’euros et un excédent public de 24 milliards d’euros qui a permis de ramener la dette à 68,3 % du PIB à fin 2016 (contre 96,4 % pour la France).
Voilà pourquoi le moment français doit être utilisé pour accélérer les transformations nécessaires au lieu de les reporter une nouvelle fois. Le choix cardinal va se jouer autour de l’état catastrophique des finances publiques. Il est rationnel d’un point de vue économique et il peut être admis politiquement par nos partenaires de donner la priorité aux réformes de structure sur le respect du seuil de 3 % du PIB de déficit. Mais à trois conditions : la mise en œuvre effective et rapide de la libéralisation du marché du travail et de la normalisation de l’environnement réglementaire, fiscal et social des entreprises ; la planification précise des 60 milliards de baisse de dépenses et l’abandon de l’exonération démagogique de 80 % de la population de la taxe d’habitation, qui fera flamber les engagements des collectivités territoriales.
La révolution politique est un moyen et non une fin en soi. Elle n’a de sens que si elle débouche, comme en 1958, sur une révolution économique, sociale, stratégique et citoyenne. À défaut, c’est par la violence et les extrêmes qu’elle finira par s’imposer.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 juin 2017)