Theresa May, en décidant d’organiser des élections anticipées, a ignoré les leçons des récents scrutins qui témoignent de la révolte des citoyens.
« Les démagogues font d’autant mieux leurs affaires qu’ils ont jeté leur pays dans la discorde », soulignait Ésope. Mais les populistes eux-mêmes ne sont pas épargnés par les chocs en retour que suscitent leurs promesses irréelles et les passions qu’ils déchaînent. Ainsi, tout comme David Cameron, Theresa May s’est carbonisée en jouant avec le feu. Le premier a déclenché le Brexit en voulant reprendre le contrôle du Parti conservateur. La seconde qui comptait profiter de la faiblesse de l’opposition pour fonder un leadership fort et stable se retrouve avec une légitimité effondrée et une majorité très relative qui dépend des unionistes d’Irlande du Nord.
May, en décidant d’organiser par surprise des élections anticipées, a délibérément ignoré les leçons des récents scrutins dans les pays développés qui témoignent de la volatilité de l’opinion et de la révolte des citoyens. Elle s’est trompée de campagne en se concentrant sur le Brexit que les Britanniques considèrent comme acquis et en négligeant les questions liées aux revenus, aux retraites et à la sécurité. Elle a estimé qu’elle avait élection gagnée en refusant de participer au débat télévisé et en limitant les réunions publiques. Elle a développé un populisme anglican et un conservatisme rouge et brun, mêlant l’étatisme, la critique de l’économie de marché et la dénonciation de l’immigration, qui a fait le jeu de l’extrémisme de Jeremy Corbyn. Celui-ci, en dépit d’un programme radical associant renationalisations, envol des dépenses publiques et des impôts, indifférence pour la sécurité et les libertés publiques, a ainsi été plébiscité par jeunes et salariés.
Ces élections sont un banc d’essai du populisme dont elles démontrent les ravages. May sort du scrutin pour ce qu’elle est : un leader faible sans projet ni programme cohérents. Les contradictions du conservatisme rouge apparaissent : choix du grand large tout en restaurant les frontières et en réduisant l’immigration des deux tiers, dumping fiscal et social tout en renforçant l’État-providence, choix d’un Brexit dur tout en s’enfermant dans le déni sur ses conséquences, alignement sur les États-Unis au moment où leur leadership s’effondre, rupture avec l’Europe au moment où elle se relance. La fragilité du leadership de May et de sa majorité relative réduit fortement la possibilité d’un accord sur le Brexit d’ici à 2019.
L’évolution du Royaume-Uni souligne la fragilité des démocraties face au populisme qui constitue la pire des menaces pour la liberté. La violence du retournement est inouïe, témoignant de la puissance dévastatrice des passions politiques. Au début de 2016, le Royaume-Uni connaissait une réussite exceptionnelle. La croissance évoluait entre 2,5 et 2,8 % par an. Le plein-emploi était rétabli. La forte réduction du déficit public laissait envisager le retour à l’équilibre budgétaire pour 2020. La domination écrasante de la City sur la finance européenne allait de pair avec le dynamisme retrouvé de l’industrie, de l’immobilier et du tourisme. Dix-huit mois ont suffi pour annihiler les acquis de 17 années de redressement. La croissance a chuté pour se limiter à 1 % en 2018 contre 1,8 % dans la zone euro et 2 % en Allemagne. L’inflation tend vers 3 % par an, laminant les salaires réels. La dévaluation de plus de 15 % de la livre a stimulé dans un premier temps l’économie mais au prix de l’amputation des patrimoines et des revenus. Les entreprises s’apprêtent à être coupées de leurs marchés et à voir détruites les chaînes de valeur intégrées avec le continent. Capitaux internationaux, talents et cerveaux commencent à se détourner. Le Royaume-Uni se découvre vulnérable face à la terreur djihadiste qui n’a aucun lien avec l’immigration européenne et vis-à-vis de laquelle la coordination des stratégies de sécurité avec celle de l’Europe est impérative.
Le Royaume-Uni tourne le dos à tout ce qui a permis sa modernisation depuis 1979 : économie de marché, concurrence, société ouverte, sur fond de séquelles du krach de 2008, de polarisation sociale et territoriale, de perte de confiance dans les institutions et la classe politique, de haine des élites. L’embardée populiste refait du Royaume-Uni une île que les passions nationalistes et xénophobes coupent de l’Union comme du monde du XXIe siècle. Elle a pour résultat paradoxal de ressouder l’Union européenne et de faire prendre conscience à ses citoyens de l’ampleur des acquis de l’intégration du continent. Face à la faillite politique et morale du monde anglo-saxon, c’est à l’Europe de combattre le fléau populiste et de reprendre le flambeau de la liberté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 12 juin 2017)