En apportant son soutien à l’Arabie saoudite, tout en dénonçant l’Iran comme unique source de chaos, le président américain se trompe de cible.
Vers le Moyen-Orient compliqué il est souvent périlleux de s’envoler avec des idées simplistes. Donald Trump vient d’en offrir une nouvelle illustration. En commençant son premier voyage officiel à l’étranger par l’Arabie saoudite, il entendait à la fois marquer le réengagement des États-Unis au Moyen-Orient, renouer avec leurs alliés traditionnels déstabilisés par Barack Obama et mobiliser le monde musulman contre le djihadisme.
Mais en apportant un soutien inconditionnel à l’Arabie saoudite et en dénonçant l’Iran comme l’unique source « de destruction et de chaos dans la région », il s’est doublement trompé. D’un côté, il renforce le conflit entre sunnites et chiites. De l’autre, il s’aligne sur l’autocratie saoudienne au moment où la société civile iranienne témoigne de sa vitalité et de sa volonté d’ouverture en assurant la réélection du réformateur Hassan Rohani à la présidence de la République islamique.
L’Arabie saoudite a salué le réchauffement de ses relations avec les États-Unis en signant 380 milliards de dollars de contrats, dont 110 milliards d’armement. Mais le pays de l’or noir va sur sa fin, même s’il a recouvré en 2016 son rang de premier producteur devant les États-Unis et la Russie. Les cours du pétrole demeurent surplombés par un double choc d’offre – avec les hydrocarbures non conventionnels américains – et de demande – avec la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, même la prolongation par l’Opep à Vienne, le 25 mai, de l’accord de réduction de la production à hauteur de 1,8 million de barils s’est traduite par un retour du prix du baril sous les 50 dollars.
Le contre-choc pétrolier a déséquilibré les finances publiques de Riyad, puisque les exportations d’hydrocarbures génèrent 90 % des recettes, provoquant un déficit de 73 milliards d’euros en 2016. Simultanément, les réserves de change ont fondu. L’Arabie saoudite a ainsi dû s’endetter à hauteur de 17,5 milliards de dollars en octobre 2016. Les mesures d’austérité engagées – instauration d’une TVA de 5 %, relèvement des tarifs de l’eau, de l’électricité et de l’essence, limitation des aides sociales et des primes pour les fonctionnaires – ont provoqué un profond mécontentement, notamment chez les jeunes, qui représentent la moitié de la population et dont le taux de chômage atteint 30 %.
Sur le plan stratégique, l’Arabie saoudite se trouve dans une situation très délicate. Elle incarne et exporte le wahhabisme, dont l’idéologie structure les mouvements djihadistes, d’Al-Qaeda à l’État islamique, ce qui ne les empêche pas de se retourner contre elle. Elle est menacée d’encerclement par un chiistan qui, outre l’Iran, englobe l’Irak, la Syrie et le Liban. Elle se trouve enlisée dans la guerre du Yémen, qui menace ses installations pétrolières et lui coûte 1 à 3 milliards de dollars par mois sans parvenir à vaincre les milices houthistes et les partisans de l’ex-président Saleh, qui tiennent tout le nord du pays.
D’où la révolution proposée par le prince Mohammed ben Salman. Elle consiste à réduire la dépendance au pétrole en diversifiant l’activité et en développant le poids du secteur privé de 40 à 65 % du PIB. Le projet d’introduction en Bourse de 5 % du capital d’Aramco, estimé à 2 000 milliards de dollars, s’inscrit dans le cadre de ce plan Vision 2030 qu’elle doit contribuer à financer. Mais cette transformation du modèle saoudien est à haut risque, tant le développement d’une économie de la connaissance et de services reste inconciliable avec le wahhabisme.
Le pari de Donald Trump d’un réalignement des États-Unis sur l’Arabie saoudite est d’autant plus étrange qu’il intervient au moment où l’ouverture diplomatique lancée par Barack Obama en direction de l’Iran produit de premiers résultats. La victoire de Hassan Rohani contre le conservateur Ebrahim Raissi marque un tournant dans l’Histoire. Elle exprime la volonté des Iraniens de proscrire le retour à l’isolement des calamiteuses présidences Ahmadinejad pour se tourner vers les réformes et l’ouverture. Ainsi, Rohani n’a pas hésité à placer les thèmes cruciaux des droits de l’homme, de la liberté d’expression et du respect de l’Etat de droit au cœur de sa campagne.
Par ailleurs, l’Iran possède le potentiel d’un grand émergent. Déjà, la levée des sanctions liées au programme nucléaire a permis d’engager le redressement du pays. L’économie croît à un rythme de 4,5 % en 2017. La production de pétrole a été relevée de 1 à 3,7 millions de barils par jour. L’inflation ramenée de 45 à 8,9 %. Le cours du rial s’est stabilisé. Et l’Iran dispose d’une population de 80 millions d’habitants ; d’une classe moyenne urbanisée et bien éduquée, forte de 500 000 diplômés de l’enseignement supérieur par an ; d’infrastructures de qualité ; d’une position commerciale remarquable entre l’Asie et l’Europe. Enfin, l’Iran est de retour dans le jeu diplomatique.
Les défis qui se présentent au président Rohani sont certes considérables, de la réforme économique à la poursuite de l’ouverture en passant par l’accroissement des libertés. Les obstacles ne manqueront pas, de la volonté de Donald Trump de remettre en cause l’accord de Vienne sur le nucléaire aux opposants au changement, qui rassemblent le Guide suprême, Ali Khamenei, les forces armées, les Pasdaran et la justice. Mais il dispose d’un levier majeur avec le soutien des Iraniens.
Le réengagement des États-Unis au Moyen-Orient est salutaire. Mais il ne peut être fondé ni sur la solidarité avec les autocrates, ni sur le soutien inconditionnel aux sunnites contre les chiites. Trois principes doivent dominer la stratégie des États-Unis, comme celle de l’Europe, d’ailleurs : accorder une priorité absolue à la lutte contre le djihadisme ; poursuivre le dialogue, parallèlement à l’Arabie saoudite, avec les trois États dont le poids est déterminant, à savoir l’Iran, la Turquie et l’Egypte ; parier sur l’évolution des sociétés civiles, qui constituent à terme le meilleur antidote au fanatisme religieux comme aux populismes.
(Chronique parue dans Le Point du 1er juin 2017)