Paris est engagée dans une compétition féroce avec Francfort, Dublin, Amsterdam et Luxembourg pour attirer les emplois qui devront quitter la City.
La candidature de Paris pour les Jeux olympiques de 2024 fait légitimement l’objet d’une mobilisation générale. Elle constitue une occasion exceptionnelle de relancer notre capitale, très durement touchée par le terrorisme. Pour autant, le pari n’est pas sans risques. L’investissement annoncé porte sur 6,2 milliards d’euros, mais il est vraisemblablement sous-estimé, comme le montre le précédent de Londres, en 2012. Les retombées économiques sont évaluées à 10,7 milliards d’euros, mais resteront ponctuelles. Or, dans le même temps, le Brexit comporte un potentiel de création d’activités et d’emplois très supérieur et plus durable. Et ce, sans aucun coût pour les finances publiques et avec un effet accélérateur sur les réformes indispensables. La relance de la place financière de Paris appelle cependant des décisions urgentes.
Le Royaume-Uni sort progressivement du déni quant aux véritables conséquences du Brexit. Le règlement financier des engagements britanniques envers l’Union, estimés entre 60 et 100 milliards d’euros, demeure modeste face à l’impact du Brexit. La reprise de l’inflation, qui atteint 2,8 %, et la dévaluation de 15 % de la livre sterling minent les salaires réels, le pouvoir d’achat et la compétitivité des entreprises. La diminution de 270 000 à 10 000 entrées par an jointe au doublement des taxes sur l’emploi de main-d’œuvre étrangère privera les entreprises de ressources humaines vitales. Parallèlement, les modalités et le calendrier du Brexit se clarifient. La ligne du Hard Brexit adoptée par Theresa May est indissociable d’un statut de pays tiers, ce qui signifie la fin du passeport européen pour les institutions financières. Le Brexit sera effectif le 29 mars 2019. Les acteurs des marchés trancheront donc sur leur redéploiement d’ici à la fin de l’année, afin d’être opérationnels à cette date.
L’enjeu est considérable. La City est la troisième place financière du monde et a imposé son leadership dans les transactions et la gestion des actifs en euros, qu’elle assure à hauteur de 70 à 90 %, selon les activités. Elle génère directement 200 milliards de livres d’activité, 800 000 emplois à haute valeur ajoutée et 60 milliards de livres de recettes fiscales. Les seules chambres de compensation des transactions en euros emploient plus de 100 000 personnes. Il est exclu que la régulation, les infrastructures et les principaux opérateurs de la zone euro soient installés dans un pays tiers. Leur relocalisation est inéluctable. Or, pour l’heure, Paris est nettement distancé dans la compétition féroce qui l’oppose à Francfort, Dublin, Amsterdam et Luxembourg. Une compétition dans laquelle tous les coups sont permis, comme le montre la manœuvre allemande pour obtenir la fusion de l’Autorité bancaire, installée à Londres, avec l’Autorité de supervision des assurances, basée à Francfort, ce qui donnerait à cette dernière un avantage décisif. En dépit des efforts de la place de Paris, de la Banque de France et de l’AMF, seule HSBC a jusqu’à présent annoncé le transfert de 1 000 emplois en France. Ce sont Francfort, en raison de la présence de la BCE, et Dublin, en raison de l’environnement juridique et linguistique anglo-saxon ainsi que d’une fiscalité très favorable, qui se taillent la part du lion. Paris demeure handicapé par l’instabilité législative et réglementaire, la fiscalité confiscatoire du capital et la rigidité du droit du travail.
Pour autant, rien n’est perdu. Notre pays dispose de réels atouts avec la qualité de sa régulation, les remarquables performances de ses cinq grandes banques qui dominent le continent, la solidité de ses compagnies d’assurance, le dynamisme de l’industrie de gestion d’actifs, l’excellence reconnue des cerveaux français dans le domaine de la finance, le potentiel de développement de Paris. Reste à trouver un antidote rapide. Il existe : c’est le statut d’impatriation, qui permet de s’installer en France pour y travailler tout en étant partiellement exonéré d’impôt sur le revenu et d’ISF durant cinq à huit ans. Emmanuel Macron a annoncé que la loi de finances pour 2018 définira un cadre fiscal stable pour la durée de son quinquennat. La normalisation et la prévisibilité de la fiscalité française sont fondamentales, mais elles demanderont du temps. Elles ne sont nullement incompatibles avec l’adoption, dès l’été 2017, de mesures d’urgence pour renforcer l’attractivité de Paris. Allongeons la durée du statut d’impatrié à dix ans et étendons son champ à la taxe sur les salaires. Créons un statut d’impatriation pour les entreprises. Renforçons le rôle de l’Autorité européenne des marchés financiers basée à Paris, et prenons position pour accueillir les chambres de compensation de la zone euro. Le Brexit offre une formidable chance d’accélérer le redressement de la France en relocalisant des activités et des emplois à haute valeur ajoutée, en facilitant le financement de la modernisation de nos entreprises comme de la transition numérique et écologique, en relançant Paris comme une des métropoles clés de la mondialisation. Avec le Brexit, la finance devient notre meilleure amie. Déroulons-lui le tapis rouge pendant qu’il en est encore temps.
(Chronique parue dans Le Point du 29 mai 2017)