Le chaos qui sévit à Washington contraste avec la stratégie conduite par Pékin qui vise à dépasser les États-Unis et à imposer un leadership global.
Donald Trump s’affirme chaque jour un peu plus comme le plus beau cadeau que les États-Unis aient jamais fait à la Chine. Grâce à la nouvelle Administration américaine, Xi Jinping, fort de son mélange d’absolutisme, de nationalisme et de modernisation économique, accélère le pas et poursuit la reconfiguration des réseaux d’infrastructures et d’échanges qui structurent la mondialisation. Le chaos qui sévit à Washington contraste avec la stratégie de long terme conduite par Pékin qui vise non seulement à dépasser les États-Unis mais à imposer un leadership global.
Les États-Unis sont désormais le côté faible du triangle stratégique Pékin-Moscou-Washington. Leur puissance et leur crédibilité sont durablement compromises par la personnalité et les décisions erratiques de Donald Trump.
Le virage protectionniste, réaffirmé au sein du G20, s’est principalement concrétisé par le retrait des États-Unis du Pacte transpacifique, qui était la clé du cantonnement économique de la Chine en Asie-Pacifique. La guerre commerciale et monétaire annoncée avec Pékin a tourné court, se limitant à un modeste accord sur l’agroalimentaire, le 11 mai 2017. Il se réduit à l’ouverture d’un marché de 2,5 milliards de dollars aux éleveurs américains, à comparer avec un déficit commercial de 347 milliards de dollars en 2016. La situation est d’autant plus absurde que les véritables raisons de ce déficit résident dans l’insuffisance d’épargne, d’investissement, de compétitivité de l’appareil de production des États-Unis que Donald Trump ne règle en rien.
Simultanément, la Chine a très habilement utilisé la Corée du Nord pour renforcer la pression sur les États-Unis et saper la garantie de sécurité accordée à leurs alliés asiatiques. La survie du régime de Pyongyang dépend de ses échanges extérieurs qui s’effectuent à 80 % avec la Chine. Loin de participer aux sanctions internationales, Pékin soutient l’accélération du programme nucléaire et balistique de la Corée du Nord qui exerce une pression renforcée sur le Japon et la Corée du Sud et affaiblit de manière décisive la capacité de dissuasion des États-Unis en Asie en se dotant d’une capacité de frappe du territoire américain. Le revirement des États-Unis pour privilégier l’option diplomatique dans laquelle la Chine joue un rôle central a déjà pour contrepartie la suspension des patrouilles de la marine américaine à proximité des îlots contestés de mer de Chine, notamment Scarborough Shoal, entérinant ainsi sa prise de contrôle par Pékin.
Les errements de la stratégie et de la diplomatie des États-Unis contrastent avec la construction méthodique par la Chine de sa domination sur l’Asie et sur les infrastructures vitales de la mondialisation. Quand les États-Unis sont tout entiers repliés à Washington, la Chine se mondialise à vitesse accélérée. Avec le lancement d’un plan Marshall du XXIe siècle, à savoir les Routes de la soie et leur devise OBOR : « One Belt One Road ». Le projet englobe 60 % de la population et 30 % du PIB de la planète et comporte déjà plus de 900 programmes pour un montant de 800 milliards de dollars. Leur financement est adossé à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures dotée de 100 milliards de dollars et du fonds pour les Routes de la soie, fort de 40 milliards, auxquels Xi Jinping vient d’apporter 113 milliards d’euros supplémentaires. Les objectifs sont multiples : contrôler les réseaux vitaux de la mondialisation ; écouler les excédents chinois d’acier, d’aluminium et de ciment ; créer des débouchés pour les exportations ; garantir l’accès aux matières premières et aux sources d’énergie ; instaurer une dépendance par la dette et diffuser le modèle total-capitaliste chinois.
Les États-Unis sont aujourd’hui paralysés et l’Europe impuissante face à l’expansion chinoise. Le protectionnisme constitue la pire des réponses, dont le seul résultat est de laisser le champ libre à la Chine. Il serait plus efficace de la prendre au mot en l’obligeant à respecter les règles du libre-échange dont elle se réclame, notamment en termes d’ouverture de ses marchés et de protection des investissements. Par ailleurs, Pékin s’expose à des surcoûts économiques et des risques financiers considérables. Le soutien de ses champions nationaux, par exemple dans la voiture électrique, fait l’objet de détournements massifs des aides à la recherche en investissements immobiliers spéculatifs. Le financement d’infrastructures non viables ou de régimes en faillite peut devenir ruineux, à l’image des dizaines de milliards de dollars engloutis dans le Venezuela chaviste. Et le néocolonialisme chinois suscite de plus en plus de résistance, de l’Afrique à l’Asie.
Les États-Unis et l’Europe doivent redéfinir de toute urgence une stratégie cohérente face à la Chine. À défaut, Donald Trump donnera raison à Karl Marx qui annonçait que le dernier capitaliste vendrait la corde pour le pendre. Et l’histoire retiendra qu’un milliardaire américain a cédé pour rien à un communiste chinois le contrôle du capitalisme et du monde du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 mai 2017)