La relance économique et la réduction du risque politique ouvrent une fenêtre favorable.
Soixante ans après la signature du traité de Rome, l’Union européenne semblait très mal partie. Elle cumulait croissance molle, tensions de la zone euro, risques bancaires, crise des migrants, succession des attentats djihadistes, déstabilisation par les démocratures russe et turque. Elle affichait ses divisions entre le nord et le sud autour des finances publiques comme entre l’ouest et l’est autour du droit d’asile et du contrôle des frontières. Elle était minée par la montée des populistes, menacée de désintégration par le Brexit et soumise au feu roulant des accusations de Donald Trump. Quelques mois plus tard, l’Europe connaît une embellie qui invite à l’optimisme et renverse la perception négative qu’elle inspirait, tant à ses citoyens qu’au reste du monde.
L’économie, clé de la stabilité dans les démocraties, connaît une reprise progressive mais solide. La zone euro en témoigne, qui aligne un rythme de croissance de 1,8 % par an, la baisse du chômage de 12,2 % à 9,4 % de la population active en trois ans, un large excédent commercial, un déficit public réduit à 1,4 % du PIB. La relance profite pleinement à l’Europe du Sud, à l’image de l’Espagne, où l’activité progresse de 2,5 % par an. Même la Grèce sort de la récession et dégage un excédent budgétaire de 0,7 % du PIB, ce qui devrait permettre, dans la lignée de l’accord avec ses créanciers, un allégement de sa dette. Enfin, le secteur financier, activement soutenu par la BCE, retrouve une vitalité.
Sur le plan politique, la victoire d’Emmanuel Macron marque une rupture décisive. Le nouveau président a innové en plaçant sa campagne sous un jour résolument européen. L’élection présidentielle française a ainsi pris la forme d’un référendum sur l’Europe. Or le rejet par les Français de la sortie de l’euro, cœur du programme économique de Marine Le Pen, a joué un rôle majeur dans sa très nette défaite. L’échec de l’extrême droite française, après celui de Norbert Hofer en Autriche et celui de Geert Wilders aux Pays-Bas, stoppe la vague populiste et la démagogie hostile à l’Union. La vieille Europe, loin d’être la nouvelle victime des démagogues à la suite du Royaume-Uni et des États-Unis, leur oppose une résistance aussi tenace qu’inattendue.
Un afflux des capitaux internationaux se dessine, porté par la hausse de la croissance et des profits, mais aussi par les atouts que constituent le grand marché, la stabilité de l’euro et les garanties de l’État de droit. Et ce d’autant que le coût et la fausseté des promesses populistes apparaissent au grand jour. Au Royaume-Uni, salaires et patrimoines sont laminés par la dévaluation de 15 % de la livre et par l’inflation, qui atteint 2,8 % par an, tandis que le leadership de la City se fissure. Aux États-Unis, les cent premiers jours de l’administration Trump n’ont accouché d’aucun changement significatif, sinon un début de crise institutionnelle autour du limogeage du directeur du FBI, James Comey. Pour autant, l’élection de Macron ne met pas davantage fin à la crise européenne que la défaite de Le Pen n’engage le reflux des partis populistes, dont la prochaine cible sera l’Italie lors des législatives de février 2018, que Beppe Grillo entend transformer en un nouveau plébiscite contre l’UE. Elles créent cependant une dynamique favorable pour une nouvelle donne qui provoquerait la décrue du populisme en éradiquant enfin ses causes.
La réinvention de l’Union est fondamentale pour répondre à la crise économique, sociale, culturelle et politique qui fournit le terreau des extrémistes. Or le Brexit et l’hostilité de l’administration Trump, d’une part, les menaces du terrorisme islamique et des démocratures, d’autre part, soulignent l’utilité du projet européen tout en obligeant à le clarifier et à le redéfinir. Le Brexit devra être négocié en associant une ligne d’extrême fermeté sur le respect des principes fondateurs de l’UE et d’ouverture pour ce qui touche à la communauté de valeurs et de destin avec le Royaume-Uni, s’agissant notamment de la sécurité. La priorité doit aller à la réponse concrète aux attentes des citoyens en termes de niveau de vie et d’emploi, de perspectives offertes aux jeunes, de protection et de sécurité. Initiatives et réorientations majeures sont donc indispensables pour renforcer la zone euro, investir dans les infrastructures, dans l’éducation et dans l’économie numérique, assurer la garantie et la portabilité des droits sociaux, lancer une Union européenne pour la sécurité avec pour mission la lutte contre le terrorisme et le contrôle des frontières extérieures du continent. Le moteur de cette nouvelle donne demeure le couple franco-allemand. Sa remise en route dépend du redressement économique et financier de la France, à l’heure où Deutschland AG tourne à plein régime : 55 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires sont attendues d’ici à 2021, ce qui est plus que suffisant pour financer le réarmement ou un programme d’investissement. Encore faut-il restaurer la confiance envers la France et ses dirigeants, dont la stratégie – purement illusoire – s’est limitée à l’espoir que l’Allemagne finirait par payer pour l’Union comme pour l’euro. Et cette confiance se jouera tout entière autour de la capacité d’Emmanuel Macron à réformer le modèle français insoutenable fondé sur la décroissance, le chômage permanent et la dette publique.
Jean Monnet résumait ainsi l’esprit de la construction européenne : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes. » Pour Emmanuel Macron, la politique intérieure et la politique européenne ne feront qu’une : réformer la France, c’est réinventer l’Europe ; remettre les hommes au cœur du projet européen, c’est réunifier la nation française.
(Chronique parue dans Le Point du 18 mai 2017)