La vague populiste est la conséquence et non la cause de la crise démocratique. Il ne suffit pas de l’endiguer dans les urnes pour la stopper.
Le second tour de l’élection présidentielle de 2017 est un vote historique. Il s’organise comme un référendum sur l’économie de marché, l’euro et l’Europe, contre lesquels, le 23 avril, ont voté 55 % des électeurs ; il prend la forme d’un choc frontal opposant la France incluse et la France périphérique ; il détermine aussi la poursuite du projet européen comme l’accélération ou le coup d’arrêt à la poussée populiste dans les démocraties.
La France cumule trois crises. La première, nationale, est liée à l’implosion du modèle économique et social issu des Trente Glorieuses qui génère décroissance, chômage, pauvreté et surendettement, ainsi qu’à l’incapacité chronique de la classe politique à le réformer. La deuxième découle des dysfonctionnements de l’Union européenne et de l’euro. La troisième mêle la déstabilisation des classes moyennes par la mondialisation et la révolution numérique, le sentiment de dépossession et de perte d’identité.
Tout cela débouche sur l’effondrement des partis traditionnels et la percée des partis populistes. Ils bénéficient à plein de la disparition des anciens clivages idéologiques, du discrédit des élites, des échecs des dirigeants en place, de l’effet disruptif des réseaux sociaux, qui assurent le triomphe de la démocratie d’opinion sur les institutions et des passions identitaires sur la raison.
Les peuples redécouvrent la sagesse de Charles Péguy, qui soulignait que « le triomphe des démagogues est passager, mais leurs ruines sont éternelles ». En Grèce, Alexis Tsipras, l’enragé de Syriza, s’est rapidement converti à la réforme pour maintenir son pays dans l’euro et lui éviter un défaut aussi ruineux que celui de l’Argentine en 2001. Moins d’un an après le référendum, les Britanniques déchantent devant la dévaluation de la livre et la hausse de l’inflation, qui laminent leur pouvoir d’achat : ils sont désormais 45 % à regretter le Brexit, contre 43 % à le soutenir. Aux États-Unis, Donald Trump bat des records d’impopularité et enchaîne les échecs face aux contre-pouvoirs du Congrès et de la justice.
Dans ce contexte, la défaite de Marine Le Pen ferait barrage à la vague populiste sans engager nécessairement son reflux. Les partis populistes sont en effet la conséquence et non pas la cause de la crise démocratique. Il ne suffit pas de les endiguer électoralement, il faut éradiquer les ressorts de leur succès.
Certaines leçons peuvent être tirées des autres démocraties. Tout d’abord, le changement de génération et de style de leadership se révèle décisif pour relégitimer les formations politiques, comme le montre Justin Trudeau avec le Parti libéral au Canada. Les réseaux sociaux peuvent revitaliser le débat public et favoriser la participation des citoyens aux décisions publiques. Ils imposent aux dirigeants un respect strict de la transparence et de l’éthique. L’Europe du Nord montre qu’il est possible de concilier compétitivité et solidarité, réforme économique et protection sociale, ouverture et cohésion nationale.
L’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée ne supprimerait ni le risque France ni la menace d’une victoire de l’extrême droite en 2022. Bien au contraire, elle les exacerberait en cas d’échec de sa part. Sur le plan économique, il lui faudra donc imaginer une croissance inclusive. Les deux clés sont l’éducation et la productivité. Sur le plan politique, il lui faudra mettre en œuvre le renouveau tout en s’inscrivant dans une mémoire longue. Sur le plan européen, il lui faudra fédérer une nouvelle génération de dirigeants.
La France dispose d’une chance unique de reprendre pied en Europe et dans le monde tout en renouant avec le fil de son Histoire. Elle peut rappeler que le patriotisme est l’antidote au populisme ; la nation, l’antidote à la xénophobie ; l’Europe, l’antidote à la guerre.
(Chronique parue dans Le Point du 04 mai 2017)