Le pays, secoué par une crise économique et politique, a besoin de réformes majeures.
Vingt-six ans après la fin du régime de l’apartheid, au sein d’un continent qui poursuit son décollage, l’Afrique du Sud fait figure d’exception. Elle régresse tant sur le plan économique et social que sur le plan de l’Etat de droit et des institutions, minée par la violence, la corruption et le népotisme.
La croissance en Afrique du Sud plafonnera à 0,80 % en 2017, après 0,30 % en 2016. L’inflation atteint 6 % par an. Le taux de chômage culmine à 24,5 % de la population active et 54 % pour les jeunes. La balance courante se dégrade avec un solde négatif de 4,80 % du PIB. Le déficit public se creuse avec le tarissement de l’activité pour s’élever à 4,10 % du PIB. La dette publique représente 52,50 % du PIB tandis que les réserves ont fondu à 46 milliards de dollars, soit six mois d’importations. Conséquence logique, le rand s’est massivement déprécié et la notation souveraine de l’Afrique du Sud a été dégradée en catégorie spéculative.
Les difficultés de l’économie sud-africaine sont avant tout structurelles. Sa compétitivité recule, car elle présente des structures et des coûts proches de ceux d’un pays développé sans offrir les avantages correspondants en termes de compétences, de technologies, d’infrastructures, de capacités de financement ou de services publics. L’environnement des affaires se dégrade avec le renforcement des incertitudes politiques, juridiques et fiscales, qui pèsent notamment sur le secteur minier, l’industrie et l’agriculture, par ailleurs touchée de plein fouet par la sécheresse. Les inégalités demeurent immenses, nombre de townships ne disposant toujours pas de l’eau courante ni de l’électricité. La criminalité et l’insécurité sont endémiques. Les violences xénophobes contre les immigrés explosent.
En quelques années, l’Afrique du Sud a vu sa part dans la richesse de l’Afrique subsaharienne ramenée de 50 à moins de 30 % et a perdu, en 2014, son statut de première puissance économique du continent au profit du Nigeria. Dans le même temps, elle se trouve dépassée sur le plan technologique par l’Afrique de l’Est, notamment le Kenya, un des laboratoires de l’économie numérique. Avec la Russie et le Brésil, elle compte parmi les pays émergents qui dévissent, contrastant avec la réussite de la Chine et de l’Inde, dont la croissance est installée autour de 6,60 et 7,50 %.
Au principe du blocage de l’économie et de la société on trouve la crise politique. Jacob Zuma, par sa démagogie et son affairisme, a entrepris d’enterrer Nelson Mandela et sa « nation arc-en-ciel ». Des 20 millions d’euros de travaux effectués dans sa maison du KwaZulu-Natal sur les fonds publics à l’affermage de certains ministères et de pans entiers d’activités dans les médias, les mines ou l’énergie à la famille Gupta, oligarques du nouveau régime, les scandales s’enchaînent.
La crise du Congrès national africain (ANC) est désormais ouverte. Crise électorale, avec le spectaculaire recul de 62 à 54 % des voix lors des élections municipales d’août 2016 ainsi que la perte des villes clés de Johannesburg et Pretoria. Crise gouvernementale, avec le remaniement du 30 mars, destiné à évincer le ministre des Finances, Pravin Gordhan, au prix d’une accélération de la chute du rand et de la dégradation de la notation financière. Crise parlementaire avec le dépôt d’une motion de censure dont l’ANC, qui contrôle 249 sièges sur 400, ne cesse de reporter l’examen. Crise sociale, avec la multiplication des manifestations violemment réprimées qui exigent la démission du président. L’enjeu est le congrès de l’ANC de décembre 2017, qui tranchera sur le successeur de Jacob Zuma. Il entend imposer la candidature de son ex-femme, Nkosazana Dlamini-Zuma, contre celle de son vice-président, Cyril Ramaphosa, qui bénéficie du soutien des modérés et des responsables économiques.
Les atouts de l’Afrique du Sud sont considérables : des richesses naturelles exceptionnelles ; une économie diversifiée avec des services à haute valeur ajoutée ; la première place financière du continent à Johannesburg ; des entreprises en position dominante dans les infrastructures, la distribution, la finance, les biens de consommation qui structurent le capitalisme africain ; des capacités diplomatiques et militaires reconnues. Mais ce potentiel exige des réformes majeures. Le 11 juillet 2009, lors de son premier voyage en Afrique, qui l’a conduit au Ghana, Barack Obama affirmait à Accra : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin d’institutions fortes. » L’Afrique du Sud voit aujourd’hui la solidité de ses institutions menacée par la dérive autocratique et kleptocratique de Jacob Zuma. De même qu’elle s’est libérée de l’apartheid, elle doit aujourd’hui se libérer de l’ANC.
(Chronique parue dans Le Point du 27 avril 2017)
Retrouvez également la chronique « Afrique du Sud, la star déchue » (mars 2015)