L’abandon par les États-Unis des principes sur lesquels avait été fondé l’ordre mondial depuis 1945 ouvre une ère à très haut risque, placée sous le signe du nationalisme et du protectionnisme.
Les démagogues ravagent l’histoire et ruinent les peuples en mettant en acte leurs promesses insensées. Ainsi en va-t-il de Donald Trump. Après avoir enterré le pacte transpacifique et annoncé la renégociation de l’Alena, la nouvelle Administration, lors de la réunion de Baden-Baden des 17 et 18 mars, a paralysé le G20 en refusant de renouveler l’engagement – constant depuis 2009 – de combattre le protectionnisme et en exigeant la suppression de toute référence à la lutte contre le réchauffement climatique. Les contributions aux institutions multilatérales font l’objet de coupes sombres. L’Union européenne est dénigrée, tandis que le Brexit est encensé. L’Allemagne, après la Chine et le Mexique, est érigée en bouc émissaire de la désindustrialisation américaine et Angela Merkel sommée de rembourser « la très puissante et coûteuse protection que les États-Unis donnent à l’Allemagne ».
Sur le plan intérieur, les premiers appels d’offres pour la construction du mur à la frontière mexicaine sont lancés. Les études se poursuivent sur l’instauration d’une taxe de 20 % sur les importations. Enfin, le budget de l’agence pour la protection de l’environnement a été amputé de 31 % au moment où celui de la défense est augmenté de 54 milliards de dollars.
L’abandon par les États-Unis des principes sur lesquels avait été fondé l’ordre mondial depuis 1945 ouvre une ère à très haut risque, placée sous le signe du nationalisme et du protectionnisme. Le commerce international progresse désormais moins vite (2,5 %) que la croissance mondiale (3,4 %). Les marchés se fragmentent sous l’effet des droits de douane et des barrières aux échanges. Les États cherchent à placer les acteurs économiques et sociaux sous tutelle en accumulant les contrôles, les réglementations et les taxes. Les frontières sont de retour et se hérissent de murs. Les tensions géopolitiques s’exacerbent.
La démondialisation succède ainsi à la mondialisation. La mondialisation est apparue dans les années 1980 au croisement de la fin de l’ère keynésienne, des réformes libérales engagées par Margaret Thatcher et Ronald Reagan ainsi que de l’effondrement de l’Union soviétique. Sous l’impulsion des États-Unis, elle a accéléré avec l’universalisation du capitalisme, la révolution des technologies de l’information et la montée d’une société ouverte.
La mondialisation a été profondément ébranlée par le krach de 2008. La spirale d’une déflation mondiale n’a été enrayée qu’au prix d’une politique d’expansion monétaire sans précédent et d’une hausse de l’endettement public de 40 % du PIB pour sauver les banques et soutenir l’activité. Les classes moyennes des pays développés ont subi de plein fouet le choc du chômage, de la chute des revenus et des patrimoines, auquel s’est ajoutée la grande peur de la révolution numérique. La crise est devenue politique avec la montée des partis populistes portés par l’explosion de la colère face au déclassement, aux inégalités, au sentiment d’une perte d’identité et d’une dépossession de leur destin par les citoyens. Elle s’est matérialisée en 2016 avec le vote du Brexit par le Royaume-Uni puis l’élection de Donald Trump aux États-Unis.
L’histoire du XXe siècle rappelle pourtant que la démondialisation est beaucoup plus dangereuse que la mondialisation. Le déchaînement des nationalismes en 1914 a cassé la dynamique de la seconde révolution industrielle et enclenché le cycle des guerres mondiales et de la lutte à mort entre la démocratie et les totalitarismes. La cascade de mesures protectionnistes et de dévaluations compétitives initiée par les États-Unis avec le vote du tarif Smoot-Hawley en 1930 provoqua l’effondrement des trois quarts des échanges et des paiements mondiaux et précipita la course au second conflit mondial.
À l’inverse, la mondialisation a réussi ce que le tiers-mondisme avait rêvé et systématiquement échoué à réaliser : faire sortir 1,2 milliard d’hommes de la grande pauvreté en un quart de siècle et réduire de plus d’un tiers les écarts de richesse entre nations. Son renversement implique le ralentissement de la croissance mondiale, l’enfermement de certains peuples dans la misère indissociable de migrations de masse, le renforcement de l’instabilité financière, le risque de guerres commerciales et monétaires. Il est en effet chimérique de prétendre remplacer le multilatéralisme par le bilatéralisme qui demanderait de conclure 13 000 accords commerciaux pour couvrir les échanges actuels. Au plan géopolitique, le démantèlement de la mondialisation et du multilatéralisme accélère enfin la désoccidentalisation du monde tout en ouvrant de vastes espaces aux démocratures et en légitimant leurs stratégies de puissance.
Face à la démondialisation, il est donc vital de ne pas laisser le monopole de la stabilité et de la sécurité aux régimes hostiles à la liberté. D’où l’importance de ne pas céder aux pressions de l’Administration Trump et de défendre le libre-échange et le multilatéralisme, notamment au sein du G20. D’où l’urgence, soixante ans après le traité de Rome, face au Brexit et au nouveau cours nationaliste et protectionniste des États-Unis, de refonder l’Europe. En préservant les acquis majeurs que sont le grand marché, l’euro et l’État de droit européen.
En répondant aux attentes des citoyens par un modèle de croissance inclusive et par la création d’une Union pour la sécurité en charge de la lutte contre le terrorisme, de la protection des infrastructures vitales et du contrôle des frontières extérieures du continent.
La démondialisation est une arme de destruction massive pour le développement, la société ouverte et la paix entre les nations. La mondialisation est un bien commun des hommes du XXIe siècle, initié par l’Occident.
L’intégration européenne demeure la meilleure réponse aux risques globaux du XXIe siècle. Il revient aux citoyens des démocraties de ne pas laisser les démagogues retourner les institutions des nations libres contre leurs valeurs.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 mars 2017)