Le Brexit constitue une rupture historique qui voit le Royaume-Uni jouer un rôle d’éclaireur pour les changements de donne politique et économique au sein des démocraties.
Le Brexit a provoqué depuis le référendum du 23 juin 2016 beaucoup de bruit politique pour peu d’effets. Il constitue pourtant une rupture historique qui voit le Royaume-Uni, comme avec Keynes (1936), Beveridge (1942) puis Margaret Thatcher (1979), jouer un rôle d’éclaireur pour les changements de donne politique et économique au sein des démocraties.
Il inaugure une nouvelle ère placée sous le signe du populisme, de l’interventionnisme, du protectionnisme et du nationalisme. Il s’apprête désormais à devenir une réalité avec la notification par Theresa May avant la fin mars, au terme du processus parlementaire qu’elle a vainement tenté de contourner, du retrait du Royaume-Uni de l’Union en vertu de l’article 50 des traités.
- Le Royaume-Uni joue gros avec une main faible. L’asymétrie est en effet forte avec l’Union européenne, qui concentre plus de 50 % des exportations britanniques quand Londres n’absorbe que moins de 20 % des exportations européennes. Par ailleurs, la City génère directement 200 milliards de livres sterling d’activité, 800 000 emplois à haute valeur ajoutée et 60 milliards de recettes fiscales. Son statut de troisième place financière du monde est indissociable de son leadership dans les transactions et la gestion des actifs en euros, qu’elle assure à hauteur de 70 % à 90 % suivant les activités alors qu’elle se situe hors de la monnaie unique.
- Le Hard Brexit s’est imposé après les dénis successifs portant sur la possibilité d’un nouveau vote, d’un maintien de l’accès au grand marché ou du statu quo pour le passeport financier européen. La négociation qui s’ouvre sera très difficile. Elle s’inscrit dans un calendrier très serré, l’accord devant se nouer avant septembre 2018 pour pourvoir être approuvé par le Conseil et les Parlements européens et nationaux avant les élections européennes de 2019. Les enjeux sont immenses et complexes : paiement des engagements financiers du Royaume-Uni estimés entre 40 et 60 milliards d’euros, régime commercial, régulation financière, droits des citoyens, frontières extérieures avec les situations explosives de Gibraltar, de Chypre et surtout de l’Irlande du Nord et de l’Écosse qui entend revoter dès 2018 sur son indépendance si elle est coupée du grand marché. En l’absence d’accord s’appliqueront les règles de l’OMC, notamment le principe de non-discrimination qui conduirait à imposer un tarif douanier moyen de 4,8 % au Royaume-Uni.
- Sous le slogan de Global Britain pointent de multiples contradictions. Le choix de la dévaluation et de l’inflation diminuera les revenus et le pouvoir d’achat, particulièrement pour les plus pauvres. Le modèle de Hong Kong, fondé sur l’ouverture commerciale associée au dumping fiscal et réglementaire, accélérera le déclassement des personnes et des territoires les plus vulnérables. La volonté de conserver un lien fort avec l’Europe est incompatible avec les menaces de représailles dans les domaines de la fiscalité ou, pire, de la sécurité au moment où le continent se trouve sous le feu croisé du djihadisme et des démocratures russe et turque.
- L’Union doit conjurer les risques de la division et de l’enlisement dans une négociation sans fin. Elle doit être très claire dans la défense de ses principes : l’unité de ses 27 États membres ; l’indivisibilité des quatre libertés de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes ; la supervision directe par la BCE des banques et des opérateurs utilisant l’euro et la localisation au sein de la zone des infrastructures critiques de marché, au premier rang desquelles les chambres de compensation.
- Le Brexit appelle simultanément une refondation de l’Union européenne qui réponde aux attentes et aux inquiétudes des citoyens. Et ce autour de quatre priorités. La clarification des frontières et des compétences de l’Union autour de trois cercles : la zone euro ; les membres de l’Union hors monnaie unique ; les partenaires stratégiques privilégiés comme le Royaume-Uni. Le renforcement du noyau dur de la zone euro qui passe par la convergence fiscale et sociale mais aussi l’union bancaire – indissociable du démantèlement du carcan réglementaire et fiscal qui ligote les banques et assurances et bloque le financement de l’activité qu’elles assurent à 75 % en Europe contre 20 % aux États-Unis. L’engagement d’une stratégie ambitieuse en faveur de la croissance, de l’innovation et de l’emploi par l’achèvement du grand marché, l’investissement dans les infrastructures et dans l’éducation. Enfin, la création d’une Union européenne pour la sécurité avec pour missions la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures vitales et le contrôle des frontières extérieures.
- Le Brexit constitue enfin une chance et une responsabilité historiques pour la France. Il peut servir d’électrochoc pour moderniser notre modèle économique et social en valorisant les atouts considérables de notre pays – démographie, entrepreneurs et cerveaux, épargne, pôles d’excellence publics et privés, culture et qualité de la vie – et en traitant les maux qui le rongent : la fiscalité confiscatoire, la réglementation tentaculaire, l’instabilité des normes, la rigidité et le coût excessif du travail. Il offre une occasion unique de replacer Paris au nombre des métropoles-mondes en reconstruisant une place financière et en attirant des entreprises de haute technologie. Il peut contribuer à rééquilibrer et relancer le couple franco-allemand, en soulignant l’apport décisif que constituent pour l’Union le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, la maîtrise de la dissuasion nucléaire ou la possession d’un modèle complet d’armée, au moment où le Brexit ampute d’un tiers les capacités militaires du continent et où l’Otan est déstabilisée par l’Administration Trump.
Ne rééditons par les erreurs des années 1930 qui virent les démocraties européennes se perdre en se divisant face à la déflation et aux totalitarismes. Préservons à tout prix les acquis de l’intégration européenne. Gérons les intérêts communs avec le Royaume-Uni face aux risques du XXIe siècle. Résistons aux passions populistes, protectionnistes et xénophobes, agiotées par les démagogues qui aggravent tous les maux qu’ils dénoncent.
(Chronique parue dans Le Figaro du 13 mars 2017)