La menace d’une augmentation massive de sa dette est largement occultée dans les débats de la présidentielle.
En 2016, en dépit du Brexit et de l’élection de Donald Trump, la zone euro a poursuivi sa lente mais patiente reprise. La croissance s’est élevée à 1,8 %, surpassant pour la première fois depuis 2008 celle des États-Unis (1,6 %). L’excèdent commercial dépassera 250 milliards d’euros. L’inflation s’établit à 1,8 % du fait de la hausse des prix de l’énergie, soit un niveau proche de l’objectif de 2 % fixé par la BCE. Le taux de chômage recule à 9,6 %, contre 12,2 % il y a deux ans. Le déficit public est limité à 1,8 % du PIB et la dette stabilisée à 90 % du PIB. Mieux encore, contrairement à ce qu’assène Trump, la zone euro ne fonctionne pas au bénéfice exclusif de l’Allemagne mais se rééquilibre géographiquement. Pour la deuxième année consécutive, l’Espagne affiche une croissance de 3,2 %. Et la Grèce sort enfin de son interminable récession. Deux pays font cependant exception, l’Italie et surtout la France, qui tire la zone euro vers le bas et s’affirme plus que jamais comme son grand corps malade.
La France a spectaculairement manqué le train de la reprise européenne. La croissance plafonne péniblement à 1,1 % et s’effrite même par rapport à 2015 (1,2 %). À la désindustrialisation et à la crise agricole s’ajoutent les déboires du tourisme, victime non seulement des attentats mais aussi d’une insécurité chronique et de la dégradation de l’image de notre pays comme de sa capitale. Les parts de marché poursuivent leur diminution dans le monde comme au sein de la zone euro en raison des séquelles du choc fiscal que le CICE est loin d’avoir effacées en totalité. Le chômage, mesuré toutes catégories confondues, frappe 6,6 millions de personnes. Enfin, au moment où les taux d’intérêt remontent, les finances publiques sont plus que jamais dans une situation critique, affichant un déficit de 3,3 % du PIB et une dette de 98 % du PIB quand les recettes atteignent un niveau record de 54 % du PIB.
Face à de tels résultats, il n’est que Michel Sapin pour oser prétendre que « la croissance a été forte ». George Orwell rappelait dans 1984 que « la liberté, c’est de dire que deux et deux font quatre ». Le mensonge institutionnalisé, loin de faire une vérité, enlève toute crédibilité à la politique.
Après le référendum sur le Brexit et l’élection de Trump, l’Union européenne voit s’enchaîner en 2017 une succession de scrutins majeurs aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et sans doute en juin en Italie. Partout, l’enjeu central opposera les réformistes et les populistes. Partout, l’incertitude est maximale. Tout est possible.
L’évolution de la France et de la zone euro est riche d’enseignements dans cette conjoncture historique sans précédent depuis les années 1930, qui voit les risques politiques et stratégiques se démultiplier, les cadres et les règles fondant l’ordre mondial se désintégrer, les démocratures qui se présentent comme une alternative aux démocraties se renforcer, les nations libres se défaire et se désunir.
L’accélération du décrochage de la France au moment où la reprise de la zone euro s’affermit confirme que notre pays n’est pas victime de la monnaie unique mais de son modèle économique obsolète et de son incapacité à le réformer. Le redressement de la France ne dépend que des Français. Il passe par la modernisation de l’appareil productif, un vaste effort d’investissement et d’éducation, la flexisécurité du travail, la reprise du contrôle des finances publiques, le rétablissement de la sécurité et de la paix civile.
La politique économique doit viser un développement soutenable à long terme. La stratégie de Theresa May d’accompagner le Brexit par un retour à une régulation fondée sur la dévaluation, l’inflation et le déficit est suicidaire. De même, le choix de Trump d’engager une relance massive par les baisses d’impôts et l’investissement public alors que l’économie américaine a renoué avec le plein-emploi est absurde. Dans les deux cas, on encourage la reconstitution de gigantesques bulles spéculatives dont l’implosion sera plus dévastatrice encore qu’en 2008. Dans les deux cas, les populistes font ce qu’ils disent et les peuples paieront la facture de leur démagogie.
La démocratie, le marché et le libre-échange ont besoin d’États forts pour les protéger et les réguler. La priorité consiste donc à améliorer la résilience de chacune de nos nations face aux chocs tout en consolidant l’Union, notamment en la dotant d’une stratégie de sécurité. Avec un objectif : garantir la souveraineté et la maîtrise de leur destin par l’Europe et les Européens. Avec un levier : la mobilisation et la résistance des citoyens face aux passions collectives délétères.
(Chronique parue dans Le Figaro du 06 février 2017)