Le régime populiste de Chavez a ruiné un pays à la tête des premières réserves pétrolières mondiales.
Les démocraties sont entrées dans l’hiver populiste. Et les populistes, à l’image de Donald Trump, font ce qu’ils disent, laissant les peuples assumer le coût de leur démagogie. Après le Brexit et l’élection américaine, l’Europe se trouve en première ligne avec des scrutins majeurs en 2017 aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et probablement en Italie, du fait de la censure de la réforme du mode de scrutin par la Cour constitutionnelle.
La faillite du Venezuela chaviste est ainsi très instructive. Elle éclaire d’un jour singulier le socialisme du XXIe siècle, dont Jean-Luc Mélenchon a fait sa source d’inspiration.
Hugo Chavez déclarait en 2010, après le sommet du G20 de Toronto, que « le capitalisme est une machine infernale qui produit chaque minute une quantité impressionnante de pauvres ». En vingt-cinq ans, la mondialisation a fait sortir de la pauvreté plus de 1,2 milliard de personnes. En dix-huit ans, la révolution bolivarienne a ruiné le pays qui possède les premières réserves pétrolières du monde devant l’Arabie saoudite (300 milliards de barils contre 270), affamé sa population et généralisé les pénuries. Manger et s’éclairer sont devenus un luxe. Il n’est pas jusqu’au pétrole qui ne doit aujourd’hui être importé des Etats-Unis. Le vendredi a été déclaré jour férié et les fonctionnaires ne travaillent que deux jours par semaine pour économiser l’électricité. Les boat people sont de plus en plus nombreux à risquer leur vie pour fuir l’enfer chaviste.
Sur le plan économique, le PIB a chuté de 10 % en 2016 et la récession sera au moins aussi forte en 2017. La production de pétrole, 96 % des recettes d’exportation, s’est effondrée, perdant 1 million de barils par jour par rapport à 1998. L’inflation culmine à 475 % et le bolivar a perdu toute valeur. L’opération de conversion lancée en 2016 a tourné au chaos et provoqué de sanglants affrontements. Le billet de 100 bolivars, qui représentait la moitié des liquidités en circulation, a vu son cours suspendu le 15 décembre alors que les billets de 500 et de 20 000 bolivars (environ 5 dollars) ne sont toujours pas disponibles. En 2016, le Venezuela a perdu avec la Chine, exposée à hauteur de 65 milliards de dollars, son dernier bailleur de fonds et n’a échappé au défaut qu’en effectuant un très coûteux rééchelonnement de sa dette à 2020.
Sur le plan social, les 30 millions de Vénézuéliens manquent de tout et les émeutes de la faim se multiplient. La violence extrême gangrène la société, marquée par quelque 6 000 homicides par an à Caracas. Nicolas Maduro, sous la menace d’un référendum révocatoire, a décrété l’état d’exception et érigé le régime en une dictature militaire. Sur le plan diplomatique, l’Amérique latine a rompu avec une longue indulgence et le Mercosur, qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, a suspendu le Venezuela en décembre 2016 pour manquement caractérisé aux principes démocratiques.
Le retournement du marché pétrolier a joué un rôle dans l’implosion du Venezuela, mais la raison première se trouve dans la politique suicidaire conduite par Hugo Chavez. Les exploitations agricoles et les entreprises ont été nationalisées et placées entre les mains de militants. La compagnie nationale pétrolière, PDVSA, a été confisquée, puis utilisée comme une annexe au budget de l’État pour financer les missions sociales bolivariennes et le soutien aux pays hostiles aux Etats-Unis, dilapidant plus de 150 milliards de dollars en dix ans, tandis que les investissements étaient stoppés. Un contrôle drastique des importations et des changes a été mis en place, qui a institutionnalisé la corruption et les pénuries. Une alliance stratégique a été nouée avec les frères Castro à Cuba, qui, en échange de subventions et de livraisons de pétrole, ont fourni des milliers de conseillers pour encadrer les administrations et surtout les services de sécurité et de renseignement.
Le socialisme du XXIe siècle n’a donc produit que misère, corruption et oppression. La crise économique a déstructuré la société avant de provoquer la transformation du régime en dictature militaire. Et la tyrannie s’affirme comme le stade ultime de la révolution bolivarienne. Le Venezuela n’a d’autre issue que de faire défaut et de trouver un accord avec ses créanciers pour restructurer sa dette. Les bases économiques du redressement existent, car le pays, au-delà de ses exceptionnelles ressources en hydrocarbures, dispose d’immenses richesses naturelles (or, argent, diamants, bauxite), d’un fort potentiel agricole et touristique, d’une classe moyenne éduquée ainsi que de remarquables élites. Mais il n’est pas de solution possible sans qu’il soit mis fin à l’expérience chaviste, qui n’est ni soutenable ni réformable.
Le compte à rebours est lancé : soit une transition négociée, comme lors de la désintégration de l’Union soviétique, soit la guerre civile, nourrie par la paranoïa de Nicolas Maduro et par la volonté des oligarques de conserver à tout prix leurs pouvoirs et leurs privilèges. Voilà pourquoi les démocraties d’Amérique latine et d’Europe doivent se mobiliser pour soutenir l’opposition libérale, et d’abord en exigeant la libération des nombreux prisonniers politiques.
Toutes les leçons doivent être tirées de la tragédie du Venezuela, qui n’est pas seulement victime de la « malédiction » des matières premières, mais surtout d’une folle idéologie. La démocratie, la paix civile et le développement économique sont fragiles. Ils doivent être adossés à des institutions fortes. Ils dépendent d’abord de la raison des citoyens. Hugo Chavez nous a rappelé que les démagogues peuvent en quelques années ruiner les pays les plus riches, ramener des sociétés développées à l’état de nature et ravaler les hommes à la condition de bêtes féroces.
(Chronique parue dans Le Point du 09 février 2017)