La cybercriminalité augmentant, le numérique devient un enjeu de sécurité décisif. La France prévoit d’affecter un milliard d’euros à un cybercommandement armé, d’ici à 2020.
Sous le grand ébranlement des démocraties qui a dominé l’année 2016 avec le Brexit et l’élection de Donald Trump, pointe la révolution numérique qui a changé de nature. La disruption était principalement économique, bouleversant les chaînes de valeur et la hiérarchie des entreprises. Elle est devenue politique et stratégique avec la vague des populismes portés par la déstabilisation des classes moyennes et les réseaux sociaux comme le retournement de la doctrine du changement de régime contre les démocraties avec la cyber-intervention de la Russie dans la campagne présidentielle américaine en faveur de Donald Trump.
La révolution numérique se distingue par la transformation digitale qu’elle impose à tous les secteurs d’activité. La vie économique et sociale se reconfigure autour des objets connectés, qui seront plus de 20 milliards en 2020. La maîtrise des données devient le cœur de la production et de la distribution, donc de la stratégie des entreprises. Leur structure évolue avec la montée en puissance des plateformes de services qui monopolisent la valeur. L’emploi dans les pays développés est ainsi beaucoup plus affecté par la robotisation que par la concurrence des pays émergents.
L’intelligence artificielle a également accompli des progrès décisifs, symbolisés par la victoire d’Alpha Go, machine qui n’a pas été programmée par l’homme mais qui a appris à jouer par elle-même et contre elle-même, sur le champion du monde de go, Lee Sedol. Elle bouleverse tous les champs du savoir et les secteurs d’activité. Elle ouvre des problèmes éthiques en plaçant l’homme en situation de devenir maître, possesseur et manipulateur de sa propre nature.
Le Web dévoile en effet sa face sombre. La cybercriminalité progresse fortement, avec un chiffre d’affaires estimé à 450 milliards de dollars par an. Elle frappe les individus comme les entreprises, qui restent très mal protégées, seules 12 % d’entre elles cryptant leurs données en Europe. La cyberguerre, expérimentée contre l’Estonie, la Géorgie et l’Ukraine, se révèle comme une arme asymétrique redoutablement efficace entre les mains des démocratures chinoise et russe qui l’utilisent pour annuler l’avantage technologique des armées occidentales, des puissances contestant l’ordre international – Iran ou Corée du Nord – mais aussi des djihadistes. Le terrorisme islamique est un caméléon dont la prochaine mutation prendra ainsi la forme d’un réseau social niché au cœur des sociétés développées. Par ailleurs, le recours intensif des partis populistes aux réseaux sociaux contribue à déstabiliser les démocraties, tandis que le piratage du site du Parti démocrate orchestré par la Russie – via l’instrumentalisation de WikiLeaks – a pesé sur le dénouement inattendu de l’élection présidentielle américaine.
Faute d’institutions et de règles, le cybermonde bascule du mythe libertaire de son autorégulation, de sa neutralité et de sa logique de partage altruiste vers la balkanisation et le rapport de force. Le réseau se reconfigure autour de systèmes régionaux ou étatiques qui se superposent, mettant en risque l’infrastructure globale et les serveurs qui en assurent le fonctionnement. Des blocs de régulation hétérogènes se juxtaposent, les États-Unis défendant l’oligopole du GAFA, la Chine et la Russie le contrôle de l’État, tandis que l’Europe tente de préserver la liberté de ses citoyens à travers le Privacy Shield adopté le 12 juillet 2016.
Le numérique n’est plus seulement décisif pour la compétitivité mais devient un enjeu de sécurité et de souveraineté. Les réponses des démocraties doivent être globales. Sur le plan technologique, il faut favoriser l’investissement et l’innovation, en ne se limitant pas aux services et en refusant d’abandonner le monopole de l’infrastructure du réseau aux États-Unis et à la Chine. Sur le plan économique et social, la priorité doit aller à un développement inclusif qui passe par un vaste effort de formation tout au long de la vie. Sur le plan juridique, le réseau doit être retiré de la tutelle des États-Unis, à l’image du retrait de l’Icann du ministère du Commerce américain, pour être confié à une agence mondiale, à l’image du nucléaire dans les années 1950. Enfin, il faut investir puissamment dans la sécurité numérique, ce que la France a entrepris en se dotant d’un cybercommandement armé par 3 200 militaires et 4 400 réservistes et en prévoyant de lui affecter un milliard d’euros d’ici à 2020.
Internet est tout à la fois un bien commun de l’humanité et un nouvel espace de confrontation. La révolution numérique peut dynamiser la croissance, relancer le progrès social, renforcer la démocratie et contribuer à la paix, ou accroître les inégalités, propager la violence et menacer les libertés. Elle ne remplacera ni la politique ni l’action des hommes, auxquels il revient de reprendre le contrôle sur l’ère des données.
(Chronique parue dans Le Figaro du 16 janvier 2017)
Cette chronique est publiée simultanément
par sept quotidiens européens