Malgré ses réformes, l’Italie est de plus en plus vulnérable. Le référendum, transformé en plébiscite sur l’action de Matteo Renzi, sera décisif.
Depuis son unité, il y a cent cinquante-cinq ans, l’Italie a souvent servi de laboratoire politique, inventant le fascisme avec Benito Mussolini, puis la magnat-télécratie avec Silvio Berlusconi. Après le Brexit et l’élection présidentielle américaine, le référendum constitutionnel du 4 décembre – qu’il soit favorable ou hostile à Matteo Renzi – pourrait provoquer un changement de donne majeur pour l’Italie. Imaginée par le Premier ministre pour être la clé de voûte de son action réformatrice, la révision de la Constitution prévoit la fin du bicaméralisme intégral, la réduction du nombre de parlementaires – le Sénat passant notamment de 315 à 100 membres – et le changement du mode de scrutin avec l’introduction d’une prime majoritaire. Autant de mesures qui ont pour objectif de réduire l’instabilité gouvernementale et de conforter la capacité d’action de l’exécutif. Bilan positif mais insuffisant
De prime abord, le bilan de Renzi est flatteur. Il peut se prévaloir d’avoir modifié le modèle italien. Le Jobs Act a permis de créer 210 000 emplois depuis 2014 grâce à l’institution d’un contrat de travail à protection croissante, au licenciement négocié et au plafonnement des indemnités en fonction de l’ancienneté, aux incitations financières à l’embauche et à l’unification de l’assurance-chômage. Un programme de réduction d’impôts de 45 milliards d’euros a été lancé, dont 20 milliards sont destinés à relancer les investissements privés, notamment dans le secteur numérique. Enfin, l’État, son organisation territoriale et la fonction publique ont été restructurés. Force est cependant de constater que l’économie se trouve plus que jamais dans une situation très fragile. Depuis 2010, l’activité a régressé de 4,1 % alors qu’elle progressait de 2,5 % dans la zone euro. La croissance plafonnera à 0,8 % en 2016 et à 0,6 % en 2017. Et ce en raison du blocage persistant de l’investissement et de la productivité. Un chômage de masse s’est installé, qui touche 11,4 % de la population active et près de la moitié des jeunes. Les diplômés s’exilent tandis que plus de 10 % des Italiens ont basculé dans la grande pauvreté. Par ailleurs, les inégalités régionales ne cessent de se creuser : au sud, la richesse par habitant est limitée à 16 000 euros par an, contre 37 000 euros au nord. Enfin, la dette publique poursuit sa course folle, culminant à 133 % du PIB, ce qui met le pays à la merci d’un nouveau choc financier avec la remontée des taux d’intérêt. Pauvreté, identité et sécurité
Trois facteurs spécifiques aggravent la vulnérabilité de l’Italie.
- La situation de faillite des banques, qui ploient sous 360 milliards d’euros de créances douteuses dont 210 milliards sont irrécouvrables, renforce le risque souverain. Le besoin de recapitalisation atteint 70 milliards, soit 4,4 % du PIB. Or il ne peut être comblé par le marché, comme le montrent les difficultés rencontrées par Monte dei Paschi di Siena pour réaliser l’augmentation de capital de 5 milliards indispensable à sa survie.
- Ensuite, depuis la fermeture de la route des Balkans, l’Italie se trouve en première ligne dans la crise des migrants, la Sicile ayant accueilli plus de 160 000 personnes depuis le début de 2016.
- Enfin, les séismes qui ont frappé depuis août le centre du pays soulignent tant la vulnérabilité des hommes et d’un patrimoine unique face aux catastrophes naturelles, que la tragique défaillance de l’État à mettre en place une prévention efficace en dépit de plus de 9 000 morts et de 240 milliards d’euros d’indemnisations au cours des soixante dernières années.
L’Italie réunit donc tout ce qui fournit le terreau du populisme : la stagnation économique, la paupérisation de la population, la crise des classes moyennes, le désarroi identitaire, la montée des menaces sur la sécurité. Elle en est ainsi devenue l’une des terres d’élection, du mouvement Cinque Stelle de Beppe Grillo à la Ligue du Nord. Or c’est bien le spectre du populisme qui hante le référendum du 4 décembre. C’est dire le risque pris par Renzi en transformant le référendum en plébiscite sur son action et en annonçant sa démission en cas d’échec. Il s’est désigné comme le bouc émissaire du grand malaise des Italiens.
(Chronique parue dans Le Point du 3 décembre 2016)