La réhabilitation d’une politique budgétaire doit passer par l’investissement et l’innovation.
Depuis 2008, la politique monétaire a tenu l’économie mondiale à bout de bras, tandis que la politique budgétaire était réduite à un rôle d’accompagnement aux États-Unis ou placée sous le signe du rétablissement prioritaire des finances publiques dans la zone euro. Les politiques de baisse des taux – devenus négatifs au Japon et en Europe – et d’assouplissement quantitatif du crédit ont réussi à conjurer le risque d’une grande déflation comparable à celle des années 1930. En revanche, elles ont échoué à relancer durablement l’activité et l’emploi.
Dans ce contexte qui mêle croissance molle, démondialisation lancée par le Brexit et périls géopolitiques, les politiques monétaires sont parvenues à leurs limites. Pire, elles génèrent désormais des effets pervers : laminage du secteur financier par les taux négatifs ; reconstitution de bulles spéculatives géantes sur les marchés immobiliers et boursiers ; perte de crédibilité des banques centrales. D’où l’appel du FMI et de l’OCDE en faveur d’un nouvel équilibre associant réactivation de la politique budgétaire et normalisation de la politique monétaire.
De fait, la politique budgétaire est en cours de réhabilitation. Aux États-Unis, les deux candidats à la présidence ont annoncé une relance, Donald Trump par des baisses d’impôts et Hillary Clinton à travers un programme de modernisation des infrastructures doté de 250 milliards de dollars sur cinq ans. Au Japon, Shinzo Abe a engagé en août dernier un plan d’investissement dans les infrastructures et de reconstruction des zones sinistrées par le tsunami et la catastrophe de Fukushima portant sur 250 milliards d’euros, tandis que la Banque du Japon a décidé de plafonner à 0 % les taux à 10 ans afin d’assurer un financement gratuit et illimité de l’État. Au Royaume-Uni, Theresa May a choisi de préparer le Brexit par la dévaluation, l’inflation et l’abandon du retour à l’équilibre budgétaire à l’horizon de 2020. Enfin, la zone euro a renoncé à sanctionner ses membres qui ne respectent pas leur trajectoire de retour à l’équilibre, qu’il s’agisse de l’Espagne, du Portugal ou de la France.
Quatre raisons militent aujourd’hui pour la réactivation de la politique budgétaire.
- Sur le plan économique, seul l’État est en position d’être un investisseur en dernier ressort pour financer les dépenses requises par le vieillissement et l’urbanisation de la population, la révolution numérique, la transition écologique, la formation et la recherche.
- Sur le plan politique et social, il est vital de répondre à la crise des classes moyennes et à la montée des inégalités par une croissance inclusive, qui impose d’améliorer les systèmes d’éducation et de santé.
- Sur le plan stratégique, le changement de nature et d’intensité des risques contraint les démocraties à réinvestir de manière importante dans leur sécurité intérieure et extérieure.
- Enfin, la relance peut être financée à coûts faibles voire nuls en raison du niveau historiquement bas des taux d’intérêt.
Pour autant, les risques liés à une relance budgétaire sont loin d’être négligeables. Elle ne peut être efficace que si elle sert une stratégie de l’offre, tournée vers l’investissement et l’innovation et non vers les transferts sociaux, comme le montrent les échecs cinglants du Japon qui reste englué dans la stagdéflation (0,3 % de croissance depuis 1990 pour une dette de 250 % du PIB) ou de la France qui conjugue le record de dépenses publiques et d’aides sociales (57 et 34 % du PIB) avec la diminution de la croissance potentielle et l’installation d’un chômage de masse. Elle accélère le surendettement des États qui portent déjà 152 000 milliards de dollars d’emprunts. Elle peut être enrayée, voire devenir explosive, du fait du resserrement concomitant de la politique monétaire qui crée un risque de liquidité pour certains pays ainsi qu’une possibilité de krach obligataire au terme de 35 ans de hausse. Enfin, elle peut achopper sur des conflits politiques soit au plan interne, comme aux États-Unis – le plafond de la dette étant fixé par le Congrès -, soit au plan externe, avec la divergence sur les principes de la politique économique et l’absence de coordination au sein de la zone euro.
Le nouveau réglage de la politique économique faisant une plus large part à la politique budgétaire ne peut ainsi réussir qu’à trois conditions. D’abord l’orientation exclusive des nouvelles dépenses publiques vers l’investissement et l’innovation. Ensuite, l’accélération des réformes sans lesquelles la politique budgétaire n’est pas plus soutenable que la politique monétaire. Enfin, la coordination avec la politique monétaire et entre les stratégies de relance qui doivent être conduites en priorité par les nations qui en ont les moyens : États-Unis, Canada, Allemagne et Europe du Nord. Ce nouveau cours ne peut donc servir de nouveau prétexte pour différer la modernisation du modèle français mais constitue une raison supplémentaire pour l’engager au plus vite.
(Chronique parue dans Le Point du 31 octobre 2016)