Au lieu de casser la mondialisation, il faut la mettre au service du plus grand nombre.
Le ralentissement de la croissance mondiale s’accompagne d’une brutale chute des échanges internationaux : leur hausse sera limitée à 1,7 % en 2016, alors que l’activité globale progressera de 3,1 %. Et ce alors que les flux commerciaux, sur longue période, ont évolué une fois et demie plus vite que la croissance et jusqu’à deux fois plus vite dans les années 1990 (6 % par an). En dépit des déclarations du G20 à l’issue de la réunion de Hangzhou les 4 et 5 septembre, les mesures protectionnistes se multiplient. Le nombre de restrictions au commerce est passé de 50 à 1 200 depuis 2008. Les négociations du cycle de Doha au sein de l’OMC sont au point mort. Le pacte transpacifique est dénoncé par Donald Trump comme Hillary Clinton, qui l’avait pourtant placé au cœur de la stratégie du pivot vers l’Asie, tandis que les pressions montent pour interrompre les discussions autour du grand marché transatlantique.
Le ralentissement du commerce international comporte certes des aspects conjoncturels, liés à l’atterrissage de l’hypercroissance chinoise, à la chute du prix du pétrole et des matières premières ou encore à la relocalisation des chaînes transfrontalières de production. Mais sa cause principale est structurelle. Elle est indissociable des difficultés croissantes rencontrées par le capitalisme mondialisé pour délivrer prospérité économique, progrès social et stabilité du développement.
La résurgence du protectionnisme accompagne par ailleurs la forte recrudescence des tensions géopolitiques, de la volonté de Pékin d’asseoir son hégémonie sur la mer de Chine à l’annexion de la Crimée par la Russie, puis ses interventions en Ukraine et en Syrie, en passant par l’implosion du Moyen-Orient et par le djihad planétaire lancé par l’État islamique.
Tout cela fait la fortune des discours populistes, qui associent nationalisme, xénophobie et protectionnisme. Avec un succès croissant, comme le montrent la victoire du Brexit au Royaume-Uni, le détournement de l’élection présidentielle américaine en un plébiscite autour de la personnalité de Donald Trump ou le référendum hongrois contre l’accueil des réfugiés.
Le blocage du commerce mondial, qui se transformerait en forte contraction si Donald Trump venait à être élu, est très lourd de dangers. Il prive la croissance mondiale de l’un de ses plus puissants moteurs. Il réédite l’erreur tragique de la Grande Dépression, dont l’un des ressorts essentiels fut la course au protectionnisme provoquée par le vote aux États-Unis de la loi Smoot-Hawley en juin 1930, puis l’échec de la conférence de Londres en 1933. Il met en péril la poursuite de la mondialisation, oubliant qu’elle a fait sortir de la pauvreté plus de 1 milliard d’hommes et permis une hausse du revenu moyen dans le monde de 120 % entre 1980 et 2015. Il accélère la crise des démocraties en faisant le jeu des populistes, qui constituent une menace mortelle pour les nations libres. Enfin, il exacerbe les différends internationaux, au risque de faire des guerres commerciales la répétition générale de conflits armés.
Le commerce international tient lieu de bouc émissaire. Les problèmes fondamentaux de l’économie mondiale portent sur la croissance faible, la stagnation de la productivité, le chômage et les inégalités. Loin de les résoudre, le recours au protectionnisme les aggravera. Au lieu de casser la mondialisation, il faut la mettre au service du plus grand nombre. Or cela est parfaitement possible, tant il n’existe aucune fatalité à la décroissance, au chômage permanent ou au creusement des inégalités.
Le désarmement des guerres économiques passe par la libération des gisements de croissance qui découlent de l’émergence des classes moyennes du Sud, du décollage de l’Afrique, de l’économie de la connaissance et de la transition écologique grâce à l’amélioration de tous les facteurs de production : le travail avant tout par un formidable effort d’éducation, mais aussi l’efficacité du capital, les infrastructures, l’énergie, l’innovation. Le développement doit retrouver une dimension inclusive, en réduisant non seulement les écarts entre les nations, mais les écarts entre les individus à l’intérieur des nations. Enfin, il est impératif de réarrimer le capitalisme et la démocratie en imposant le respect de l’Etat de droit dans les nations libres et par les nations libres entre elles, mais aussi en refusant d’accorder des traitements équivalents, voire privilégiés, aux pays qui en refusent les principes.
Il ne fait pas de doute que le commerce demeure au XXIe siècle une source majeure de richesse pour les nations, les peuples et les individus. Il reste à faire en sorte que cette richesse soit équitablement répartie et qu’elle soit mise au service de la stabilité et de la liberté.
(Chronique parue dans Le Point du 06 octobre 2016)