Pékin et Washington ont ratifié l’accord mondial du 12 décembre sur le climat, anticipant ainsi ses chances d’entrer en vigueur avant la fin de l’année.
L’accord de Paris, conclu le 12 décembre 2015 par 195 Etats et institutions à l’issue de la COP21, reste un exploit diplomatique qui tranche avec le cinglant échec de la conférence de Copenhague en 2009. Il marque le premier succès d’une négociation conduite sous l’égide de l’Onu depuis le début du XXIe siècle. Sa portée est universelle. Sa nature juridique de traité international lui permet de s’appliquer en droit interne. Enfin, fait sans précédent, la société civile se trouve engagée et mobilisée aux côtés des Etats pour remplir les objectifs fixés : limiter l’augmentation de la température mondiale à 2° C et si possible 1,5° C par rapport à son niveau préindustriel ; assurer une neutralité des émissions de gaz à effet de serre à partir de 2050 ; établir des contributions nationales qui seront revues tous les cinq ans.
Contrepartie du consensus, l’accord de Paris comporte des lacunes majeures. Tout d’abord, il n’est pas contraignant. Les contributions nationales restent des objectifs, non des obligations. Aucun mécanisme de vérification n’est prévu. Dès lors que les efforts à réaliser par les pays du Sud restent indicatifs et non auditables, l’engagement des pays développés à financer à hauteur d’au moins 100 milliards de dollars par an à compter de 2020 l’adaptation des pays en développement demeure tout aussi conditionnel. Enfin, du fait du veto de l’Arabie saoudite et du Venezuela, l’instauration d’un prix mondial du carbone a été exclue.
Au total, l’accord de Paris prévoit peu d’actions concrètes avant 2020, même si 190 Etats ont produit des contributions. Par ailleurs, la chute brutale du prix du pétrole n’a pas créé un contexte favorable. C’est donc sans surprise que la dégradation du climat a continué à s’accélérer depuis sa conclusion. L’année 2016 accumule les records de chaleur et la température moyenne se situe 1,3° C au-dessus du niveau préindustriel, soit presque l’objectif cible retenu pour la fin du siècle. Les événements climatiques extrêmes se sont multipliés : sécheresse en Chine, en Californie, en Australie…; feux de forêt – notamment à Fort McMurray, au Canada ; inondations en Louisiane, en Inde et en France ; précipitations diluviennes en Russie.
Pourtant, plusieurs évolutions positives sont intervenues depuis la COP21 qui confirment qu’elle a marqué un tournant.
La première percée, diplomatique, concerne la mise en œuvre de l’accord de Paris. Elle est subordonnée à sa ratification par 55 Etats représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Si 180 Etats l’ont signé, seuls 24 l’avaient ratifié depuis, qui ne totalisent que 1,08 % des émissions. Or la donne vient de changer avec l’annonce, le 3 septembre, par la Chine et les Etats-Unis, du dépôt de leurs instruments de ratification, alors qu’ils sont les deux plus grands émetteurs mondiaux (20 % des émissions pour la Chine et 18 % pour les États-Unis). Les deux géants ont ainsi choisi le climat pour afficher leur capacité à coopérer, Barack Obama soignant son bilan écologique et saisissant l’occasion de contrer Donald Trump, tandis que Xi Jinping répond à l’exaspération de la nouvelle classe moyenne chinoise devant la dégradation de ses conditions de vie.
La Chine et les États-Unis donnent ainsi un signal majeur qui devrait déboucher sur la ratification de 34 autres pays, dont le Japon (3,8 % des émissions), le Canada, l’Indonésie et l’Iran. Seuls continuent à tarder la Russie (7,5 % des émissions), l’Inde (4,1 %) et… l’Union européenne (10 %). Selon Ban Ki-moon, l’accord de Paris est désormais bien parti pour entrer en vigueur avant la COP22, qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016, soit une application remarquablement rapide.
Pour être réellement efficace, le prix du carbone doit être établi à l’échelle de la planète. L’organisation d’un marché des droits à émettre reste ainsi préférable à la taxation, car le mécanisme est moins manipulable par les États et plus facile à universaliser. Or une vingtaine de systèmes de marchés carbone ont été mis en place, couvrant environ 12 % des émissions, ce qui constitue un premier pas positif.
Le changement le plus rapide vient cependant des acteurs économiques. Sous la pression des autorités et des consommateurs, les entreprises se sont converties à la transition énergétique. Une rupture décisive se dessine dans les investissements du secteur de l’énergie. Certes, la Chine a encore autorisé cette année la construction de 150 centrales électriques, mais les investissements dans les renouvelables ont atteint 286 milliards de dollars en 2015 – dont 103 milliards pour la Chine –, au moment où ceux de l’industrie pétrolière diminuaient de moitié. Les coûts des installations solaires ont chuté de 80 % depuis 2009 et baisseront à nouveau de 60 % d’ici à 2025. Dans le même temps, les technologies propres enregistrent des progrès spectaculaires dans les secteurs clés de l’énergie, des transports et de la construction. Enfin, 170 grandes entreprises ont déjà pris l’engagement de réduire leurs émissions de 2° C tandis que le secteur financier a entrepris de mettre en place un système de mesure et de contrôle du risque climat.
La dynamique de la transition écologique de la planète a bien été lancée par la COP21. Elle a pour moteur les entreprises et les marchés. Mais ceux-ci agissent sous la pression des pouvoirs publics et des citoyens. Voilà pourquoi il faut continuer à plaider pour un prix mondial du carbone et pour la suppression des subventions à la consommation d’énergie en échange d’une baisse des prélèvements sur le travail et d’une aide des pays développés à la transition écologique des pays émergents. Voilà pourquoi il est hautement souhaitable que le G20, qui représente 85 % du PIB de la planète et 75 % des échanges commerciaux, se saisisse de la question du climat. Voilà pourquoi les citoyens doivent se mobiliser pour que l’environnement, qu’il s’agisse de l’atmosphère ou des océans, soit reconnu et protégé comme le premier des biens communs de l’humanité.
(Chronique parue dans Le Point du 8 septembre 2016)