Face à la résurgence et à la mutation de la guerre, il est urgent de renforcer notre sécurité.
Démosthène rappelait dans les « Philippiques » que « la manière de bien conduire une guerre, ce n’est pas de suivre mais de précéder les événements ». Dans l’ordre stratégique plus que dans tout autre, subir, c’est déjà être défait. Or, depuis 2010, l’environnement de la France et de l’Europe s’est profondément dégradé, prenant à revers le désarmement accéléré qu’elles ont poursuivi depuis la chute du mur de Berlin.
Les surprises stratégiques se multiplient : irruption de l’État islamique ; basculement du Moyen-Orient et d’une partie de l’Afrique du Nord dans le chaos ; frappes terroristes militarisées sur l’Europe, dont les attentats de Paris et Bruxelles ; annexion de la Crimée par la Russie, suivie de l’intervention en Ukraine et d’une démonstration de force en Syrie ; arrivée d’une vague de 1,3 million de réfugiés sur le sol européen en 2015 ; Brexit, exemplaire de la montée des populismes qui pourrait lancer une dynamique de désintégration de l’Union, voire de l’Otan ; révolution technologique de l’automatisation des armes et de la cyberguerre.
La guerre effectue un retour en force et mute, se faisant hybride et asymétrique, ciblant de plus en plus la population civile. Le monde réarme massivement : les ventes s’élèvent à 66 milliards de dollars, en progression de 10 % par an.
L’Europe et la France se découvrent en première ligne. Notre continent n’a désormais de frontières qu’avec des zones en proie à la violence et se trouve pris en tenailles entre la menace intérieure et extérieure du djihad, entre le terrorisme islamique et le néo-impérialisme russe ou ottoman. Dans le même temps, la garantie de sécurité apportée par les États-Unis devient de plus en plus aléatoire et conditionnelle. La France, pour sa part, constitue une cible prioritaire en raison de ses valeurs, de son histoire et de ses engagements. Or ni l’Europe, qui a diminué son effort de défense jusqu’à 1 % de son PIB, ni la France n’étaient préparées à cette nouvelle donne qui les place dans une situation de très grande vulnérabilité. Comme dans les années 30, les Européens atermoient et se divisent tant sur la nature de la menace prioritaire – terrorisme islamique, expansionnisme russe ou réfugiés – que sur la stratégie à adopter, tandis que les États-Unis cèdent à un nouvel accès d’isolationnisme.
Il ne fait donc pas de doute que la sécurité constituera, avec le chômage, l’enjeu majeur de l’élection présidentielle de 2017. Des choix déterminants, longtemps différés, devront être arrêtés dans le domaine de la stratégie, de l’effort de défense, de la protection de l’Europe. Il faut réinvestir dans la sécurité, mais ce réinvestissement suppose de profonds changements, qu’il s’agisse de la sécurité du territoire et des citoyens français, de la souveraineté de l’Europe ou de la stabilisation de sa périphérie. Face aux risques du XXIe siècle, il n’y a pas de réponse uniquement militaire ou policière. Aussi est-il impératif de se doter d’une stratégie globale permettant d’intégrer les différentes dimensions de la sécurité, de remettre en cohérence et de coordonner les politiques publiques et les acteurs privés contribuant à la sécurité de la nation et à sa résilience en temps de crise. Ceci passe par la création d’un conseil de sécurité nationale auprès du président de la République et d’un centre de commandement opérationnel pour la sécurité intérieure, pilotant notamment dans tous ses aspects la lutte contre le terrorisme sur le territoire national.
Pour Napoléon, « la guerre est un art tout d’exécution ». Il n’est pas de stratégie crédible sans moyens cohérents. Or la cannibalisation de l’Etat régalien par l’État-providence, qui absorbe 34 % du PIB, a des conséquences critiques. Depuis 1990, le budget de la défense a été ramené de 3,5 à 1,5 % du PIB, jouant le rôle de variable d’ajustement des finances publiques. Or, à partir des années 2000, les opérations extérieures se sont multipliées pour un coût annuel qui dépasse 1,2 milliard d’euros. Depuis les attentats de 2015, l’opération Sentinelle mobilise 11 000 soldats. Au total, 35 000 hommes sont engagés en permanence, ce qui excède largement les contrats opérationnels fixés aux armées, au prix d’une chute drastique de l’entraînement, de pénurie de munitions, d’une usure prématurée des hommes et des matériels – dont le taux de disponibilité a chuté au-dessous de 50 % et jusqu’à 36 % pour les hélicoptères. À ce rythme, le potentiel militaire pourrait être entièrement consommé au début des années 2020, entraînant un effondrement de ses capacités comparable à celui des forces britanniques à l’issue des guerres d’Irak et d’Afghanistan.
La défense se trouve donc confrontée à deux défis financiers cruciaux. Le premier s’inscrit dans un horizon court. A la suite des attentats de 2015, François Hollande a acté un tournant décisif en mettant fin à la déflation des effectifs militaires et en prévoyant d’allouer 3,8 milliards supplémentaires aux armées. Mais, comme toujours avec le président de la République, les faits jurent avec les mots. Les moyens ne suivent ni les missions ni les effectifs. Et le feu d’artifice de dépenses publiques à destination des clientèles électorales de la gauche risque d’occulter les investissements indispensables dans le domaine de la sécurité. La plus grande incertitude plane ainsi sur la réévaluation du budget de la défense, qui devait progresser de 31,4 milliards en 2015 à 32,1 milliards en 2016 et 32,8 milliards en 2017.
La réflexion de moyen terme est plus déterminante encore. La France, lors du sommet de l’Otan tenu au pays de Galles, a pris l’engagement de porter son budget de défense de 1,5 à 2 % du PIB entre 2015 et 2025. Cet effort correspond aux besoins requis par la hausse des effectifs, par la remise à niveau des équipements, par les investissements dans la cyberguerre et par le cycle de modernisation de la dissuasion nucléaire qui nécessitera 2 milliards par an à compter de 2020. Il pourrait être financé soit par le redéploiement de dépenses sociales, soit par les économies réalisées sur les aides aux entreprises en cas de sortie des 35 heures. Le calibrage et le financement de ce plan de réarmement seront en tout cas au cœur du prochain quinquennat. Et ce dans un environnement européen marqué par la remontée des dépenses de défense allemandes, qui s’élèvent à 34 milliards d’euros, ainsi que par le Brexit, qui fait de la France le seul membre permanent du conseil de sécurité de l’Onu et la seule puissance nucléaire de l’Union.
(Chronique parue dans Le Point du 14 juillet 2016)