Les démocraties doivent repenser leurs stratégies pour s’adapter aux transformations de la menace terroriste.
La guerre est un caméléon qui ne cesse de muter dans ses principes, ses technologies et ses acteurs. Le terrorisme islamique s’est ainsi affirmé depuis la fin du XXe siècle comme une menace existentielle pour les démocraties au fil de ses transformations.
Des années 1970 à la chute du mur de Berlin, les groupes terroristes furent un instrument d’exercice indirect de la violence au service des États, qu’il s’agisse des États-Unis pour contrer l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique ou de l’Iran, l’Irak, la Syrie ou la Libye pour contester l’ordre international. Avec al-Qaida et les attentats du 11 septembre 2001, le terrorisme islamique s’est imposé comme un acteur stratégique, cassant le monopole des États dans l’exercice de la violence légitime. Il s’est réinventé dans la décennie 2010 avec l’État islamique qui se déploie selon trois cercles : le califat au Moyen-Orient ; l’internationalisation en Afrique, des Chebabs somaliens à Boko Haram en passant par le Maghreb ; le déploiement en Occident qui constitue à la fois un gisement pour le recrutement de djihadistes et un théâtre majeur d’opérations.
Aujourd’hui, une nouvelle mue se dessine. L’État islamique recule en Syrie, en Irak et en Libye. Pour autant, il est loin d’être vaincu tant à Raqqa qu’à Mossoul. Il bénéficie des divergences d’intérêts entre les puissances et les forces militaires présentes – États-Unis contre Russie, Iran contre Arabie saoudite, Turquie contre les Kurdes – auxquelles s’ajoute la lutte pour leur survie des régimes de Damas et Bagdad. Il se sert des réfugiés comme d’une arme pour disloquer l’Europe. Surtout, il multiplie les attentats dans les villes, tant au Moyen-Orient qu’en Occident.
Les drames d’Orlando et de Magnanville infirment la théorie des « loups solitaires ». Omar Mateen et Larossi Abballa, qui ont fait allégeance à l’État islamique, ont répondu à l’appel lancé en 2014 à tous les musulmans de tuer des infidèles européens et américains où qu’ils se trouvent. L’objectif consiste, en radicalisant la communauté musulmane, à attiser les peurs et les haines jusqu’à faire basculer les démocraties dans la guerre civile. Avec pour cible prioritaire l’Europe du fait de la fragilité des nations qui la composent, de ses divisions et de son vide de sécurité. Le terrorisme islamique, sur la défensive au Moyen-Orient, pourrait ainsi se réinventer comme une cyber-plateforme décentralisée, mettant en relation des djihadistes.
L’efficacité de la riposte militaire à l’État islamique doit être améliorée sur tous les fronts. Symboliquement, il reste très important de reconquérir durablement Raqqa et Mossoul. Deux conditions sont requises : fédérer les forces militaires engagées contre l’État islamique au lieu de les laisser se positionner pour la guerre d’après ; stabiliser la sortie politique en garantissant le statut des minorités et en reconstruisant les États existants plutôt qu’en modifiant les frontières. De même, en Libye, il est urgent de réaligner le gouvernement d’union nationale et l’armée du général Khalifa Haftar. L’Europe doit pour sa part investir massivement dans sa sécurité. Au plan des nations, qui doivent respecter l’engagement pris au sein de l’Otan de consacrer 2 % de leur PIB à leur défense à l’horizon de 2025. Au lendemain du Brexit, la construction européenne doit être rééquilibrée par une Union pour la sécurité, avec pour mission de lutter contre le terrorisme et de reprendre le contrôle du territoire, notamment par la transformation de Frontex en une véritable police des frontières.
La victoire sera surtout politique. Les démocraties doivent sortir du déni cultivé par Barack Obama ou François Hollande qui soutiennent contre toute raison que le terrorisme n’a pas de lien avec l’islam. Le radicalisme islamique est tout autant le fruit de l’islam que l’Union soviétique était l’enfant du marxisme. L’islam, en tant que foi religieuse, doit être protégé ; l’islamisme, en tant qu’idéologie nihiliste, doit être éradiqué. Simultanément, il faut travailler à la reconstruction et à la soutenabilité à long terme des États arabes, en répondant aux attentes exprimées par les populations en matière de développement économique et de justice sociale. Enfin, il convient d’anticiper la prochaine mutation du terrorisme islamique par le renforcement des politiques d’intégration, par la mise en place de programmes de déradicalisation et par l’intensification de la cyberguerre contre la propagande sur les réseaux sociaux.
Carl von Clausewitz rappelait que « la victoire revient à celui qui tient le dernier quart d’heure ». C’est encore plus vrai dans la guerre asymétrique que nous livre le terrorisme islamique. Les démocraties vaincront ou perdront par leur capacité de résilience, c’est-à-dire par leur faculté à contenir la dynamique de l’extrémisme et de la violence radicale.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 juin 2016)