Le référendum britannique invite à repenser le projet européen, qui reste un atout majeur face aux défis du XXIe siècle.
Le référendum du 23 juin 2016 restera sans doute comme le tournant politique le plus important pour l’Europe depuis la chute du mur de Berlin. Il pèsera durablement sur l’avenir du Royaume-Uni et de l’Union européenne, qui devront se redéfinir au lendemain du scrutin.
La confirmation a tout d’abord été apportée que les passions politiques ont pris le pas aujourd’hui sur les intérêts économiques. Contrairement à la consultation sur l’indépendance de l’Ecosse, qui avait basculé autour des incertitudes économiques en cas de sécession, le scrutin sur l’Union a été dominé par la montée en puissance des débats identitaires autour de la nationalité et de l’immigration. En ouvrant la boîte de Pandore européenne, David Cameron a relancé le débat sur la souveraineté du Royaume-Uni, sur son identité et sa relation au continent. Et ce alors même que son adhésion au Marché commun, puis à l’UE s’est révélée un remarquable succès, accompagnant son redressement tout en plaçant largement la construction communautaire sous l’influence du libéralisme économique et de la culture démocratique anglais. Et ce alors même que la création de l’euro, loin d’entraver la croissance britannique, a conforté la suprématie de la City.
La campagne référendaire britannique a également marqué la revanche des démagogues et des extrémistes, jusqu’au cœur de la plus ancienne démocratie du continent. Pourtant, la stabilité de ses institutions, symbolisée par le 90e anniversaire d’Elizabeth II, semblait la mettre à l’abri des embardées nationalistes et xénophobes. David Cameron en porte la responsabilité première, qui a joué aux dés l’unité du Royaume-Uni et pris l’Europe en otage pour une manœuvre partisane. Mais la dérive et la radicalisation de la campagne pour le Brexit, qui a culminé avec le tragique assassinat de Jo Cox, témoignent de la crise politique des nations européennes comme de la tentation de la violence qui progresse au sein des opinions.
Si la démagogie et la violence doivent être combattues, l’exaspération croissante des citoyens européens face aux dysfonctionnements des institutions nationales et communautaires mérite d’être entendue. Quand le traité de Lisbonne avait promis de faire de l’Europe la zone la plus compétitive du monde, la dernière décennie a été perdue en termes de croissance et d’emploi pour la majorité du continent et de ses habitants. L’euro a été fondé sur des principes insoutenables, qui postulaient l’endiguement des chocs économiques, ce qui a failli provoquer son implosion en 2009 sans que les correctifs permettent de garantir sa survie. Les classes moyennes ont été déstabilisées dans leurs emplois, leurs revenus, leur patrimoine, leurs espoirs de mobilité sociale. La liberté de circulation des personnes a été dévoyée par la disparition de tout contrôle des frontières, exacerbant les peurs face à l’immigration. La sécurité des Européens s’est profondément dégradée du fait de la montée de la menace terroriste et de la pression de la Russie. En guise de prospérité et de paix perpétuelles, les dirigeants des nations européennes et de l’Union ont délivré à leurs citoyens depuis le début du XXIe siècle la pire crise économique depuis 1929, une union monétaire non viable en l’état, un florilège de guerres perdues, une insécurité croissante et la renaissance de l’extrême droite.
Pour toutes ces raisons, le référendum britannique constitue un ultime avertissement. Il invite surtout à repenser l’Europe. Non par une relance mécanique et aveugle de l’intégration, qui n’aurait d’autre effet que de décupler la fureur des peuples. Mais par une réflexion sur la volonté exprimée d’une reprise de contrôle de leur destin par les citoyens, qui passe par une Europe plus responsable, plus opérationnelle et plus protectrice.
Cinq principes cardinaux se dégagent :
- Le rêve d’une Europe fédérale et universelle bâtie sur le démembrement des nations qui la composent est suicidaire. L’Union doit être recentrée sur la gestion des risques collectifs, où elle est pertinente, et sur les politiques qui bénéficient directement aux citoyens, à l’image du programme Erasmus pour les étudiants. L’ambiguïté entretenue sur son expansion permanente doit être dissipée, et les négociations avec l’Ukraine ou la Turquie réorientées vers un partenariat qui exclut l’adhésion.
- Le désarroi des classes moyennes doit être désamorcé. Si la reprise économique du continent s’annonce très fragile et progressive, il est possible de limiter les inégalités, d’investir massivement dans l’éducation et les infrastructures, de réduire l’angoisse identitaire en reprenant le contrôle des frontières extérieures de l’Union, en instituant un droit commun de l’immigration et de l’asile, en soumettant l’aide au développement à l’acceptation du retour des déboutés.
- Pour assurer sa pérennité, la zone euro doit être renforcée par la coordination des politiques économiques ou par la convergence sociale et fiscale, ce qui suppose, d’une part, la création d’une assemblée issue du Parlement européen et, d’autre part, une déconnexion claire avec le grand marché.
- La construction européenne doit être rééquilibrée par la création d’une Union pour la sécurité avec, pour objectifs, la protection des citoyens contre la menace terroriste, la surveillance des infrastructures et le contrôle des frontières.
- Le projet européen ne peut être réinventé sans être porté par une forte initiative franco-allemande ni être incarné par une figure politique de premier plan, ce qui n’est plus arrivé depuis Jacques Delors.
Ne pas dilapider le capital politique accumulé par le mouvement d’intégration du continent depuis plus de soixante ans.
À défaut de renouer avec l’esprit et les valeurs des États-Unis d’Europe défendus par Winston Churchill en 1946, il est essentiel de ne pas dilapider le formidable capital politique accumulé par le mouvement d’intégration du continent depuis plus de soixante ans. Il reste un bien commun et un atout majeur pour tous les Européens face aux risques du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Point du 23 juin 2016)