La situation économique s’améliore mais la zone euro reste vulnérable politiquement.
La zone euro va mieux. Elle a retrouvé le rythme de croissance du début des années 2000 autour de 1,8 % par an. Elle a créé 2,2 millions d’emplois en 2015, ce qui a permis de réduire le taux de chômage à 9,4 % de sa population active. Elle a dégagé un excédent courant de 4 % du PIB et stabilisé la dette publique autour de 92 % du PIB. À l’exception de la Grèce qui reste enfermée dans la récession (-0,7 % en 2016), le redressement des pays en restructuration est spectaculaire. En Irlande, la croissance a culminé à 7,8 % en 2015 et atteindra 4,9 % en 2016 ; en Espagne, l’activité progresse autour de 3 % par an, ce qui a généré 520 000 nouveaux postes de travail et ramené le taux de chômage de 25 à 21 % en 2015 ; l’Italie est sortie de récession et a créé 210 000 emplois l’an dernier.
La reprise de la zone euro s’explique naturellement par l’amélioration de son environnement extérieur, avec la baisse simultanée des prix du pétrole, des taux d’intérêt et du cours de la monnaie unique face au dollar. Mais son premier moteur reste intérieur, lié au nouveau cours de la politique économique. La reflation fonctionne. La réorientation de la stratégie de la BCE pilotée par Mario Draghi se révèle gagnante. Elle a enfin donné la priorité à la lutte contre la déflation à travers le recours aux taux négatifs, la baisse de l’euro et l’assouplissement quantitatif.
Le calendrier du retour à l’équilibre des finances publiques a été assoupli. Ce nouveau réglage a réamorcé le crédit bancaire et ranimé la consommation.
Pour autant, la zone euro est loin d’avoir surmonté la crise et d’être engagée dans une reprise forte et durable. Huit ans après, les dommages provoqués par le krach de 2008 sont bien présents. Le contraste est complet avec les États-Unis où l’activité progresse de 2,4 % par an sur fond de plein-emploi (taux de chômage de 4,9 %) et de reprise du contrôle des finances publiques avec un déficit limité à 2,4 % du PIB.
Or la conjoncture internationale se tend à nouveau en raison du ralentissement de la Chine, de la secousse qui affecte les pays émergents et de l’appréciation de l’euro face au dollar que la BCE a perdu une occasion historique d’enrayer en décembre. La menace de la déflation subsiste avec une hausse des prix limitée à 0,2 %. Le regain de la consommation va de pair avec la persistante atonie de l’investissement. Le retard de six ans dans la mise en place d’une politique économique adaptée au choc de 2008 puis à la crise de l’euro pèse lourdement du fait des entreprises et des emplois détruits.
La production industrielle reste inférieure de 10 % à son niveau de 2008 alors qu’elle le dépasse de plus de 5 % aux États-Unis. Enfin, la lente reprise du crédit ne doit pas masquer l’absence de restructuration du secteur bancaire, dont les créances douteuses entretiennent une instabilité financière permanente.
La principale fragilité économique de la zone euro reste la divergence entre les pays qui la composent en fonction des réformes qu’ils ont entreprises. Loin de les atténuer, la reprise amplifie ces écarts, comme le montre la distance qui se creuse entre l’Allemagne et la France. Du côté de Berlin, un développement solide de 1,8 % par an, le plein-emploi avec plus de 43 millions de postes de travail et un taux de chômage réduit à 4,5 % des actifs, un solde budgétaire positif, une dette publique ramenée à 68 % du PIB et un excédent courant de 8,8 % du PIB. Du côté de Paris, une croissance qui peine à atteindre 1,5 %, un chômage structurel qui touche 10,2 % de la population active, un déficit et une dette publics de 3,4 % et 96,5 % du PIB, une érosion constante des exportations. Même si la BCE conduit une politique monétaire sur mesure pour la France afin d’éviter son implosion, le grand écart entre les deux premières économies de la zone euro est insoutenable à terme.
Et ce d’autant que les risques politiques remontent en flèche. La lamentable chronique de la faillite annoncée de la Grèce se poursuit sous la forme d’une nouvelle échéance de 5 milliards d’euros en juillet prochain, qui conforte la double impasse d’Athènes à se réformer et de ses créanciers à accepter l’inéluctable restructuration de sa dette. Le Brexit pourrait lancer une dynamique de désintégration de l’Union qui relancerait les doutes sur la pérennité de la monnaie unique.
Surtout, la montée des populismes, galvanisés par les séquelles des crises et le flot des migrants, bloque la poursuite des réformes tant au niveau de la zone euro que des pays membres.
Les dirigeants français s’abritent derrière l’ascension du Front national pour refuser toute réforme d’un modèle économique et social suicidaire pour le pays comme pour l’euro. Conformément au paradoxe de Tocqueville, c’est au moment où sa situation économique s’améliore que la zone euro montre la plus grande vulnérabilité politique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 mai 2016)